Lettre au camarade Courdavault, 17 octobre 1931. La question du "régime"

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Cher camarade Courdavault,

Le camarade Frank m'a transmis la lettre que vous lui aviez adressée, ainsi que celle que le camarade Gagnaire vous a écrite. Vous dites de Gagnaire que c'est un communiste parfaitement sincère, profondément dévoué à la cause du communisme. S'il en est ainsi - et je n'ai pas la moindre raison d'en douter - l'exemple de Gagnaire jette une lumière d'autant plus crue sur les effroyables ratages idéologiques provoqués par la direction actuelle de l'I.C.

En effet : à quoi Gagnaire ramène-t-il tous les problèmes de la politique prolétarienne ?
a) au problème (réel ou imaginaire) du caractère des dirigeants;
b) à la question de la discipline.

Les divergences sont pour lui dépourvues de contenu idéologique. Les explications de Gagnaire se réduisent au fait qu'il "craint" Trotsky, et par-dessus tout, qu'il est partisan d'une "discipline de fer." Quelle est donc, pour Gagnaire, l'essence de l'organisation communiste ? Il faut trouver un "chef" en qui on puisse avoir confiance, après quoi il n'y a plus qu'à se soumettre, aveuglément et sans condition. Or, c'est là un principe de fonctionnement du fascisme, et non du communisme. Mais le régime bureaucratique, et le vide idéologique de la direction centriste de l'I.C. créent un système de pensée qui ressemblent parfois à une caricature gauche du fascisme.

Pour un communiste, le soit-disant problème des "chefs" est indissolublement lié à la question du régime démocratique du parti. En tout état de cause, le régime démocratique du parti est inséparable des idées, mots d'ordre, méthodes politiques que cette démocratie doit servir. Ce n'est que sur cette base que l'on peut concevoir une discipline de fer.

Voici plus de deux ans que nous, opposition de gauche, nous nous sommes élevée contre la théorie et la pratique de la "troisième période" qui a causé le plus grand mal au parti communiste français et aux syndicats unitaires. Avons-nous eu raison ? Avec un retard d'un an et demi, le parti a dans les faits reconnu que oui. Mais bien entendu, au cours de cette période, nos partisans ont été exclus du parti, non parce qu'ils avaient enfreint la discipline dans l'action, mais parce qu'ils avaient fait la critique d'une politique mensongère. Qu'est-ce que Gagnaire entend par discipline ? La soumission silencieuse devant les erreurs grossières d'un appareil qui dépend fort peu du parti français, mais très fortement de la bureaucratie stalinienne de Moscou; cette bureaucratie, quant à elle, ne dépend nullement du parti. L'opposition de gauche pense, et démontre, que le maintien de cette politique et de ce régime est une menace mortelle pour la dictature du prolétariat.

Il se peut que nous ayons raison, il ne peut que nous soyons dans l'erreur. Le devoir d'un révolutionnaire prolétarien est de chercher honnêtement à y voir clair. Quelle est la réponse de Gagnaire ? Il ne fait que répéter sa formule sacramentelle sur la discipline de fer.

Il se produit aujourd'hui dans le parti communiste allemand un amalgame entre le communisme et le chauvinisme. Je parle de cela en détails dans ma dernière brochure, éditée par la Ligue. Les décisions les plus graves, qui poussent l'avant-garde du prolétariat allemand dans le marais du chauvinisme, sont prises dans le dos des masses, sans que le parti ait le moins du monde à en débattre, par décret de la petite clique qui constitue l'appareil. La pénétration du chauvinisme dans le mouvement révolutionnaire est le plus terrible de tous les dangers, particulièrement dans la situation que connaît actuellement l'Europe. De plus, la moindre critique contre le nouveau cours du C.C. du parti communiste allemand entraîne l'exclusion. Dans ces conditions, un révolutionnaire doit-il choisir la fidélité envers le communisme ou bien la fidélité envers la clique qui tient l'appareil ? Que Gagnaire vous donne une réponse à cette question.

J'en termine. J'ai répondu à votre lettre, qui date déjà du mois d'août, avec beaucoup de retard, car ces dernières semaines, j'ai été absorbé par un travail urgent.

Je vous adresse mon cordial salut, et je vous souhaite le succès dans votre lutte pour une politique communiste juste.