Lettre au Secrétariat International, 30 juin 1932

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Chers Camarades,

Je viens de recevoir la réponse espagnole à la lettre de Gourov. D'ailleurs, jusqu'à présent, j'ai dû me contenter de la contempler (elle est rédigée en espagnol et le déchiffrage me prendrait trop de temps). Mais je me rends tout de même compte que les camarades espagnols ressortent à nouveau la question de Molinier et m'accusent d'avoir rompu mes relations avec eux. Je n'ai pas besoin de vous dire que cette dernière affirmation est totalement fausse. Je n'ai laissé aucune lettre sans réponse et j'envoie tous mes articles, brochures, lettres, aux camarades espagnols sous forme de manuscrits. La seule chose exacte, c'est qu'une correspondance privée avec les camarades Nin et Lacroix n'est plus aussi intense qu'elle l'était durant les mois où se déroulèrent les grands événements révolutionnaires. Il y a à cela de multiples causes :

1) mon temps a été beaucoup plus accaparé par la question allemande.

2) J'ai perdu l'espoir de pouvoir, par la correspondance privée, gagner ces deux camarades à la politique que je considère comme juste. Dans ma dernière lettre au comité central espagnol, j'ai exprimé l'espoir que les camarades dirigeants espagnols soulèvent les questions en litige d'un point de vue politique et de principe et non sous l'angle personnel. Je suis au regret de constater que cette dernière lettre ne répond pas à cette demande à mon avis pourtant évidente.

Je n'ai aucune raison d'ouvrir ici une discussion sur ce que les camarades espagnols pensent de Molinier. Si les camarades espagnols ont des divergences politiques avec la Ligue française ou avec sa direction, il est de leur devoir de formuler les questions en litige d'un point de vue programmatique et tactique, et de les soumettre au secrétariat international. S'ils ont des griefs purement personnels, ils peuvent demander à la Ligue française ou au secrétariat international l'intervention d'une commission de contrôle. Toute autre façon d'agir est inacceptable et en contradiction avec les exigences d'une organisation révolutionnaire et de la morale communiste.

Mais il y a bien plus important : à sa dernière conférence, l'Opposition espagnole a commencé à s'engager dans une voie fausse et dangereuse. Elle a changé de nom et se nomme maintenant "communistes de gauche". Ce nom est erroné du point de vue théorique. Il peut y avoir une Opposition de gauche, mais pas de communisme de gauche, pas plus que de marxisme de gauche. Dans leur déclaration, les camarades espagnols affirment que le nom d' "Opposition de gauche" n'est que négatif et qu'il a un effet dissuasif sur les travailleurs. Mais c'est bien pour cela que nous nous appelons aussi "bolcheviks-léninistes". Les camarades grecs, qui disposent d'un long passé et d'une influence très notable, ont changé le nom de leur organisation pour porter le même que l'Opposition russe, française, allemande : bolcheviks-léninistes. L'Opposition espagnole, elle, a changé de nom pour se différencier des autres. Ce fait-là est politiquement encore plus important que le choix d'un nom théoriquement erroné. En se différenciant des sections russe, française, allemande et de nombreuses autres, les camarades espagnols portent le même nom que le groupe Rosmer, le groupe Urbahns en Allemagne, etc. J'espère que cela n'a pas été fait à dessein. Mais même si c'est dû à une attention insuffisante pour les conséquences internationales, cela n'en reste pas moins un symptôme très dangereux.

La conférence des camarades espagnole a décidé de présenter ses propres listes aux élections et, de "façon générale", de ne plus rester à l'avenir "dans le sillage" du parti officiel. Dans une lettre qu'il m'a adressée, le camarade Lacroix déclare qu'il considère cette politique comme fausse car elle recèle une orientation vers un deuxième parti. Ce jugement est tout à fait exact. Le caractère erroné de cette politique est encore renforcé par la remarque tout à fait hors de propos qui l'accompagne comme si toutes les autres sections, qui condamnent cette politique, se situaient dans le sillage des partis officiels. C'est le contraire qui est vrai. La bureaucratie stalinienne prétend toujours que I'Opposition de gauche veut créer un second parti. Nous avons toujours repoussé cela comme un infâme mensonge, afin de ne pas laisser dresser un mur entre la masse du parti et nous. Rien n'a plus nui à l'Opposition russe et internationale que l'utilisation judicieuse par les staliniens du cours suivi par Urbahns en direction d'un second parti. Avec leur décision erronée, ce sont précisément les camarades espagnols qui se placent dans le sillage de la bureaucratie stalinienne.

Evidemment, il peut y avoir des conditions dans lesquelles il serait licite de présenter ses propres listes et ses propres candidats. Mais, même dans ces conditions, ce ne peut être qu'une exception et non la règle. Je crains fort que les camarades espagnols enregistrent de mauvais résultat et que cette expérience néfaste ne fasse que rendre leur position plus difficile.

Je crois qu'il suffit de dire à nos amis espagnols toute la vérité, de façon calme, objective et amicale. J'avais tout d'abord l'intention d'écrire une lettre ouverte aux membres de l'Opposition espagnole mais je considère qu'il est plus opportun à tous points de vue, que ce soit le secrétariat international qui fasse cette démarche en son nom propre et de façon officielle. Puisque les décisions de la conférence ont été publiées, vous pourriez demander aux camarades allemands de publier également votre critique dans la presse espagnole, cette critique ne serait pas à considérer comme un jugement définitif, mais comme l'ouverture d'une discussion future, qui est de toutes façons inévitable pour la préparation de la conférence internationale.

Je n'aborde pas ici la composition de la conférence internationale, car j'ai déjà indiqué dans mes lettres précédentes ce que je considère comme nécessaire.