Lettre au SWP, 28 novembre 1939

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Pourquoi il faut aller chez Dies

Chers Amis,

J’ai découvert non sans surprise, je dois l’avouer, dans vos procès-verbaux du 17 octobre, une motion du camarade Kelvin concernant la comparution de Y [Trotsky] devant la commission X [Dies].

1. Sur l’aspect purement formel de la question : j’ai été invité par téléphone, puis par télégramme. Pour ne mettre aucun obstacle sur la route d’une occasion aussi excellente, que je trouvais exceptionnellement favorable du point de vue politique, j’ai immédiatement répondu par l’affirmative. En même temps, je vous ai écrit pour vous demander votre sentiment sur cette question. Naturellement, si une décision formelle et impérative avait été prise contre ma comparution, je me serais soumis, avec une déclaration publique donnant les raisons politiques de cette décision. Avant de télégraphier ma réponse à la commission, j’ai consulté tous les camarades de la maison et tout le monde a été d’accord que nous avions là une occasion exceptionnelle, qui devait être utilisée.

2. La commission peut être considérée de deux points de vue : (a) comme une commission d’enquête parlementaire, (b) comme une sorte de « tribunal ». Le camarade Kelvin va-t-il dire que nous devrions boycotter le parlementarisme ou que nous devrions boycotter tes tribunaux bourgeois ?

3. La commission, comme tout le parlement, est réactionnaire et poursuit des objectifs réactionnaires; mais, dans la mesure où nous participons à l’activité parlementaire, nous le faisons avec l’objectif de combattre ces objectifs réactionnaires. Pourquoi ne pouvons-nous pas suivre la même politique vis-à-vis d’un des organes du parlement? Si nous avions nos propres représentants, ils insisteraient, bien entendu, pour avoir un membre dans la commission, afin de contrer les manœuvres réactionnaires. Pourquoi un témoin ne peut-il faire le même travail ?

4. Nous avons nous-mêmes créé une commission de libéraux bourgeois pour enquêter sur les procès de Moscou. Nous avons maintenant une commission parlementaire qui est obligée, par sa position, d’enquêter sur bien des choses liées aux procès de Moscou. Les avocats des impostures ont témoigné contre nous devant cette commission. Pourquoi ne pourrions-nous pas comparaître devant la commission avec l’objectif d’établir la vérité ? L’audience de cette commission est mille fois plus importante que celle de la commission Dewey.

5. Ou bien le camarade Kelvin va-t-il dire que, dans le premier cas, nous avions affaire à des libéraux, et, dans le second, à des réactionnaires? Je n’entrerai pas dans l’évaluation politique des membres des deux commissions, mais nous savons très bien que Dewey lui-même a fait tout son possible pour compromettre le bolchevisme en général, sur la base du travail de la commission. Nous le savions d’avance, mais nous savions aussi que les avantages que nous tirerions de l’enquête seraient incomparablement plus importants que les désavantages des objectifs politiques de Dewey.

6. Une distinction aussi tranchée entre libéraux bourgeois et réactionnaires bourgeois me rappelle un peu la distinction entre les bons pactes avec les démocraties et les mauvais pactes avec les pays fascistes, mais je ne vais pas entrer ici dans un domaine plus vaste. Il suffit seulement d’ajouter que nous avons pris la responsabilité de la composition de la commission Dewey parce que nous reconnaissions la pleine autorité de sa décision, alors que la commission [Dies] est une institution d’État que nous utilisons seulement comme une tribune.

7. Quand la commission [Dies] a commencé ses sessions, il y a eu quelques articles, écrits avec quelque négligence, dans le Socialist Appeal, où l’on confondait les témoignages des renégats avec la comparution devant la commission en général. Cette négligence dans l’analyse peut aisément s’expliquer par le fait qu’aucun de nous ne pensait, à cette époque, à la possibilité que l’un de nous comparaisse devant la commission et y proclame un point de vue marxiste. Mais se cramponner à quelques formulations erronées et sacrifier une possibilité politique exceptionnelle serait un crime.

8. Éviter la tentation et esquiver le risque du péché par l’abstinence, ne pas apparaître, ne pas intervenir, c’est une attitude purement négative, passive, du « gauchisme » stérile. Apparaître, s’il le faut, sur le territoire de l’ennemi et le combattre avec ses propres armes, c’est une attitude révolutionnaire.

9. Je suis d’autant plus étonné du fait que l’auteur de cette motion est le camarade Kelvin, qui était le protagoniste — et à juste titre — de notre action en faveur de l’initiative du référendum sur la guerre, une mesure purement parlementaire.

10. Je ne puis non plus être d’accord avec la position du camarade Levine que la comparution de [Trotsky] devant la commission devrait être mise sur le même plan que la collaboration de T[rotsky] à la presse bourgeoise et qu’aux États-Unis aucun camarade américain ne témoignerait volontairement devant la commission [Dies]. Le fait que T[rotsky] écrive dans la presse bourgeoise a, en vérité, un caractère exceptionnel, compte tenu de son passé, etc., mais sa comparution devant la commission n’est nullement exceptionnelle. Je crois même que le camarade [Trotsky] devrait dans sa déposition nommer plusieurs camarades américains, en indiquant qu’ils sont plus compétents que lui sur telle ou telle question et donner ainsi à la commission une occasion excellente de les convoquer. Ce serait un excellent moyen de faire connaître quelques-uns de nos camarades devant un large secteur du public.

11. Je vous demande de considérer la dernière idée comme une proposition pratique pour votre décision.