Lettre au Leninbund, 13 octobre 1929

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche



Je n´ai reçu qu'aujourd'hui votre circulaire du 28 septembre. J'estime nécessaire de formuler à ce propos les remarques suivantes, portant tant sur les faits que sur les principes.

1 . Vous écrivez : "se sont rangés à la position du camarade Trotsky (sur le conflit russo-chinois) le groupe autrichien autour de Landau et le groupe américain, alors que le groupe Paz, ainsi que le groupe Treint[1] en France, l'Opposition belge, le groupe tchèque et le Leninbund sont tous sur une position contraire, bien que n'étant pas tous du même avis".

Premièrement, vous parlez sans raison de "la position de Trotsky". Il s'agit dans cette affaire des positions de l'Opposition de gauche russe qui sont consignées avec précision dans sa plateforme et ses documents, entre autres dans la déclaration signée par des centaines d'Oppositionnels déportés. Mais vous ne faites aucunement mention de l'Opposition russe.

Deuxièmement, la liste des organisations que vous citez n'est ni complète, ni exacte. Dans le camp de ceux qui se reconnaissent dans le point de vue sur le conflit russo-chinois exprimé dans ma brochure, il faut ranger l'Opposition russe, l'Opposition américaine, le groupe français "La Vérité", le groupe autrichien du camarade Frey, le groupe autrichien du camarade Landau, un troisième groupe constitué par des camarades récemment exclus du parti communiste, le groupe tchèque du camarade Lenorovic, l'Opposition interne au Leninbund et le groupe du Palatinat. Dans le groupe belge, les avis sont partagés. De plus, il faut ajouter qu'aucun groupe ne soutient le point de vue du camarade Urbahns sur la nature de classe de l'Etat soviétique. Et pourtant cette question est fondamentale en ce qui concerne le conflit soviéto-chinois.

2 . L'information que vous donnez sur la situation en France est franchement erronée. Tous les groupes français ont eu jusqu'à présent un caractère littéraire et propagandiste qui est visiblement insuffisant. Le passage à la publication d'un hebdomadaire a constitué une transition sur la voie de l'intervention politique dans les masses. Durant les six derniers mois, des efforts persévérants ont été déployés pour réunir d'une façon ou d'une autre les anciens groupes dans le but de faire paraître un hebdomadaire militant. Mais aucun des groupes ne s'est résolu à travailler avec les autres et il est apparu dans le même temps qu'aucun de ces groupes n'était en état de fonder seul un hebdomadaire. Chaque groupe se battait pour son maintien en tant que tel. Cet état de choses a créé un mécontentement dans chaque groupe de sorte que les éléments marxistes les plus actifs se sont unis pour éditer l'hebdomadaire La Vérité, qui est sans doute appelé à jouer un r8le important dans la vie de l'Opposition française. Le groupe La Lutte des Classes, l'un des groupes anciens, s´est déjà pleinement associé à cette initiative et il participe de façon très active au nouvel hebdomadaire. Individuellement, des militants du groupe Treint, comme Jean Jacques[2], collaborent également à La Vérité.

Malheureusement, la direction du Leninbund a, une fois de plus, pris position dans cette affaire contre le groupe progressiste et défend les groupes conservateurs ou sans principes qui se déclaraient hier solidaires de l'Opposition russe à 100 % et sont aujourd'hui prêts à prendre un virage à 180º.

3 . Vous avez tout à fait raison de dire que, si nos relations avaient été tant soit peu correctes, une brochure aurait parfaitement pu être éditée par le Leninbund. La façon dont elle est publiée actuellement est absolument anormale. Mais, pour la confier à la direction nationale, il me fallait pouvoir compter sur une loyauté totale de la part de celle-ci. Malheureusement, le camarade Urbahns m'a fait perdre cet espoir.

Dans votre circulaire, vous défendez cette falsification de mon article par la rédaction consistant à faire disparaître la partie consacrée à la critique du Leninbund, Je vous ai déjà écrit qu'en aucun cas je ne conteste à la rédaction le droit d'imprimer ou non mes articles, de les critiquer ou non. Ce que je ne lui reconnais pas, c'est le droit de les défigurer en particulier lorsque précisément je critique la direction du Leninbund. Au lieu de reconnaitre franchement qu'il s'agit là d'une faute grave, au lieu de décerner un blâme à la rédaction et d'affirmer ouvertement que de telles méthodes à la Zinoviev-Maslow sont révoltantes et ne doivent plus jamais se reproduire, vous défendez la falsification de l'article et proclamez le droit de la rédaction de continuer à agir de la sorte.

Pouvais-je, compte tenu de cet état de choses, confier ma brochure à la rédaction ?

De plus, bien que je n'aie pas l'intention de cesser une collaboration à vos publications, et tout en continuant à vous envoyer comme par le passé mes articles, je me vois contraint, après votre circulaire du 28 septembre, de déclarer catégoriquement que je ne reconnais aucunement à la rédaction le droit de déformer mes articles. Au cas où des faits de cette nature viendraient à se répéter, je serais obligé de les rendre publics dans tous les organes de l'Opposition internationale.

4 . Votre lettre répète à plusieurs reprises que je n'ai pas l'intention de scissionner le Leninbund. C'est tout à fait exact. Il ne s´agit pas là d'une simple phrase, d'une convention ou d'une quelconque diplomatie. C'est prouvé par mon attitude plus que patiente depuis février de cette année. Mais je dois dire que votre circulaire, indépendamment de l'appréciation que vous portez sur telle ou telle démarche ou déclaration des camarades Grylewicz et Joko, ressemble fort à une proclamation de rupture avec l'Opposition russe dans son ensemble. Vous écrivez dans votre circulaire que vous avez publié ma brochure pour les mêmes raisons que vous publiez "les points de vue de Radek, Smilga et Préobrajensky". N´est-ce pas inouï ? Dans ma brochure, c'est la position de l'Opposition russe que je défends. Radek, Smilga et Préobrajensky sont des renégats, des adversaires acharnés de l'Opposition russe, Radek pour sa part ne reculant devant aucune calommnie. Et vous décidez de vous déclarer prêts à publier les positions de l'Opposition russe au même titre que celles de ces misérables traîtres. Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? Sur quelle voie menez-vous le Leninbund ? Sur la voie de la rupture avec l'Opposition russe. Si, au niveau international, quelques groupes, tous peu nombreux, à l'exception de nos amis belges, ont dans une certaine mesure soutenu le camaradel Urbahns dans son appréciation erronée du conflit soviéto-chinois, il ne se trouvera par contre aucun groupe de l'Opposition internationale pour soutenir ce cours louvoyant entre l'Opposition russe et les capitulards.

Dans cette voie, la direction du Leninbund va s'isoler et mener l'organisation à sa destruction.

5 . Vous tenez pour impossible de placer le Leninbund en position de fraction. Vous voulez maintenir la ligne du parti indépendant. C*est ce qui constitue la racine de toutes vos erreurs. L'absence des conditions objectives pour l'existence d'un deuxième parti s´exprime aussi dans le fait que vous n´avez ni ne pouvez avoir les forces et les moyens nécessaires pour jouer le rôle d'un deuxième parti. Vous en convenez vous-mêmes dans vos écrits. Vous êtes contraints, dans votre quête d'un quotidien, de sacrifier votre hebdomadaire. Tant et si bien que vous n'avez ni organe de propagande ni organe politique. Vous vous trouvez dans la situation d'une petite armée qui a tenté d'occuper un territoire trop vaste. Vous êtes obligés de vous concentrer, c'est-à-dire de renoncer à une partie du territoire pour exercer une domination d'autant plus ferme sur la partie restante, la transformer en place-forte et pouvoir commencer un déploiement systématique des forces. La première tâche de l'Opposition comme telle est de former des cadres. Ce qui vous a manqué pour cela, c'est l'outil, à savoir un hebdomadaire marxiste.

Bien évidemment, un quotidien serait fort souhaitable. Mais il est totalement faux de considérer que le passage à la situation de fraction exclue un quotidien (c'est une question de force, une fraction puissante peut aussi posséder un journal). Mais la gauche communiste, Leninbund compris, n'est non seulement pas un parti indépendant, mais même pas une fraction puissante. Le malheur du Leninbund est qu´étant par nature une faible fraction, il veuille jouer un rôle indépendant. De la sorte, il ne fait que s'affaiblir.

Je ne doute pas un instant qu'en maintenant le cours actuel vous ne meniez l'organisation en quelques mois à une catastrophe, où il n'y aura chez vous ni quotidien ni hebdomadaire, mais seulement des ruines qui ne serviront qu'à rendre plus difficile le chemin des communistes de gauche.

Si je combats avec une telle obstination le cours erroné du camarade Urbahns, c'est seulement parce que je veux éviter au Leninbund la catastrophe qui le menace. Je ne poursuis ni ne peux poursuivre aucun autre but.

  1. Albert Treint (1889-1971)avait été secrétaire général du P.C.F., protégé de Zinoviev et "bolchevisateur" ; sympathisant de l'opposition unifiée, il avait été exclu du P.C.F. en février 1928. Il avait dirigé d'abord L'Unité léniniste puis Le Redressement communiste. Il n'avait pas suivi Zinoviev dans la capitulation mais se heurtait à l'hostilité des oppositionnels – nombreux – qu'il avait exclus lui-même.
  2. Jean-Jacques Tchernobelsky dit Jean Jacques (né en 1909) avait appartenu aux J.C. et au P.C.F. puis au Redressement communiste et venait de passer au groupe de La Vérité.