Lettre à Wilhelm Graeber, 20 octobre 1839

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[Brême, les 20 et 21 octobre 1839]

Le 20 octobre.

A Monsieur Wilhelm Graeber. Me voilà tout sentimental, c'est un cas difficile ! Je suis ici, dépouillé de toute amitié. Avec Alfred Torstrick, le porteur de cette lettre, part mon dernier ami fidèle. Vous pourrez lire dans ma dernière épître à Heuser de quelle façon j'ai fêté le 18 octobre. Aujourd'hui beuverie, demain l'ennui, après-demain c'est le départ de Torstrick. Jeudi revient l'étudiant dont je vous ai parlé et je passerai deux jours forts joyeux avec lui et puis commencera un affreux hiver de solitude. Impossible de faire boire que que ce soit ici, il n'y a que des petits-bourgeois, je reste là seul dans ce désert avec de qui me reste de chants paillards, un brin de vantardise estudiantine, sans compagnons de beuverie, ni amour, ni joie, seul avec du tabac, de la bière et deux connaissances qui ne tiennent pals le litre. «  Fils, voilà mon pot de bière, prends-le et vide-le d'un trait : si tu le fais comme il faut, ton vieux père sera satisfait » ; voilà ce que je voudrais chanter, mais à qui donnerais-je mon épée ? Et puis je ne connais pas bien l'air. Mon seul espoir est de vous rencontrer à Barmen au premier de l'an si je rentre à la maison, et si le pasteur ne s'est pas trop glissé en toi, en Jonghaus et en Fritz, de faire avec vous la tournée des bistrots.


Le 21.

Aujourd'hui, effroyable journée d'ennui. Travaillé comme un bœuf au comptoir, j'en suis à moitié mort. Puis, Académie de Musique, immense plaisir ! Je vais maintenant essayer de vous mettre encore quelques lignes. Enverrai mes vers à la prochaine occasion ; je n'ai pas pour l'instant le temps de les recopier. Pas même eu quelque chose d'intéressant à manger ! tout est monotone ! De plus, il fait si froid que c'est à ne pas y tenir, au comptoir ! Dieu soit loué, nous avons l'espoir d'être chauffés demain. Je recevrai sans doute bientôt une lettre de ton frère Hermann, il se propose de sonder ma théologie et de massacrer mes convictions. C'est la faute du scepticisme, les mille crochets qui nous attachaient au passé se décrochent pour s'accrocher ailleurs. De là naissent les controverses. Que le diable emporte Wurm ! Le gredin ne donne plus de ses nouvelles, il s'encanaille un peu plus chaque jour. Je suppose qu'il va se mettre à boire du schnaps. Accueillez bien mon ami Torstrick, dites-lui de vous parler de moi si cela vous intéresse, et servez-lui de la cervoise de qualité.

Farewell,

Ton Friedrich Engels.