Lettre à Veronika Kasparova, 30 août 1928

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


Les Conflits sont encore devant Nous

Chère V. D.,

Votre lettre avec les extraits de celles de Karl, Ivan Nikititch [Smirnov] et autres est arrivée hier. Merci bien — tant pour votre lettre que pour les extraits de celles des autres. Apparemment, un certain nombre de mes lettres ne vous sont pas parvenues, en particulier celle où j’injuriais vigoureusement votre ami Teplov pour sentimentalité, manilovisme et autres traits obscènes. Maintenant, pourtant, je me sens soulagé, puisque nous avons très bien régularisé notre front, au-delà même de toute attente. Bien, que peut-on dire ? Les centristes nous ont aidés, comme toujours. Inutile de dire que je suis tout à fait d’accord avec vous sur la nécessité d’une discussion interne sérieuse sur les questions fondamentales. Il ne pourrait en sortir que du bien. Et les « jeunes » d’ores et déjà font plutôt un large usage du droit de discussion. J’ai reçu d’eux un certain nombre de lettres de reproches à cause de mon indulgence excessive à l’égard de Préobrajensky. Pour l’essentiel, ils ont raison. J’ai été trop diplomate, essayant d’éviter une discussion interne à un moment précis sur une question aiguë — « sous l’œil ». Mais je suis d’accord avec vous qu’en ce qui concerne Karl [Radek], les « jeunes » sont allés beaucoup trop loin. Je dois dire cependant que Karl avait tout fait pour « exciter le public ». Tout en arrosant de lettres avec nombre de formules très importantes, il n’a pas écrit un mot à Rakovsky, à moi et nombre d’autres camarades. J’ai commencé à recevoir des protestations de tous les coins contre ces lettres de Karl et j’étais obligé de répondre que je n’en savais rien. Cela a renforcé encore la méfiance des jeunes. La lettre à Vardine, l’agent de Iaroslavsky, ne pouvait qu’ajouter de l’huile sur le feu. En outre, bien des jeunes, même dans leurs excès, s’étaient mis à l’école de Karl qui a pris les positions les plus extrêmes sur toutes ces questions à la fin de l’année dernière et a fait des commentaires plus que réprobateurs sur quelques-uns de ses alliés actuels. Inutile de dire que je fais et que j’ai tout fait pour verser de l’huile sur ces eaux agitées, car il n’est pas besoin d’expliquer l’importance de Karl. La jeunesse le comprend aussi.

En plus de la critique du programme, de la lettre « Et maintenant? » la déclaration et le bilan documentaire sur le « trotskysme », j’ai réussi à envoyer au congrès un « post-scriptum » dans lequel je résume quelques-uns des résultats du plénum de juillet. J’espère que cet additif vous parviendra aussi.

De cet épisode très sérieux et significatif dans le développement du parti et de la révolution — je fais référence au dernier zigzag à gauche — l’élément le plus médiocre à apparaître a été un conciliationnisme vulgaire et sans principes. Il est clair pour toute personne qui pense que ce ne sont pas Zinoviev, Kamenev, Piatakov et compagnie qui sont aujourd’hui à l’intérieur du parti, mais vous et moi. Nous participons activement à la vie du parti. Nos documents sont lus par les délégations au congrès du Comintern. Les milliers de signatures approuvant notre déclaration sont un fait politique majeur. Mais l’ancien président du Comintern et son misérable groupe n’existent pas politiquement. Zinoviev lui-même est obligé de déclarer qu’il ne reste rien à faire que se tenir tranquille et attendre. Ces gens sont rentrés non dans le parti, mais dans Centrosoyuz. Il ne nous est jamais venu à l’idée, à vous et à moi, cependant, en dépit des terribles séparations, que nous nous éloignions du parti. Nous y sommes ancrés plus solidement que l’année dernière et je pense que cela deviendra clair pour tous dans les prochains mois.

Un autre élément qui a surgi totalement compromis de tout ça, c’est le centrisme. Quelques jeunes exagèrent en considérant la hausse du prix des grains comme le dernier mot du centrisme. Non, les conflits sont encore à venir. Les centristes tiennent encore l’appareil. Notre déclaration, selon laquelle nous soutenons tout pas à gauche, même à contrecœur, reste en vigueur. Mais cela n’a rien de commun avec des illusions sur le centrisme, le conciliationnisme vulgaire ou tout désir de passer sur les divergences. Sur cette ligne, pas de quartier !

Ma conclusion générale : nous avons passé un examen sérieux avec les mentions les meilleures et sommes entrés dans la classe supérieure. Après ça, on s’attendrait normalement à des vacances d’été. Mais je ne sais pas si nous en aurons.

En ce qui concerne notre santé, les choses ne sont pas tout à fait satisfaisantes. Natalia et moi avons tous deux tout à fait succombé de nouveau devant la malaria et l’usage accru de la quinine a sapé la stabilité de nos intestins, de sorte que tout est bouleversé.

Des appuis à notre déclaration continuent à nous arriver de « là-bas », en Russie aussi. J’ai reçu des télégrammes en ce sens de Moscou, Voronej, Odessa, Kherson et ailleurs. Dans la préparation de tous les documents, j’ai été grandement aidé par les lettres et documents nombreux que j’ai reçus. J’espère continuer à recevoir des lettres de vous aussi, bien sûr, V, D.

Quelles nouvelles de votre fils ? Comment va sa santé ? Vous ne dites rien de personnel sur vous dans votre lettre.

Je suis le congrès avec un grand intérêt. Le principal rapport sur la situation internationale, etc., m’a fait une impression catastrophique. Il n’y avait pas dedans une seule idée achevée. Des débris, des déchets, des mégots — et rien de plus. Pendant les mauvaises années on nourrit le bétail de la paille de blé desséchée, décomposée. Elle chatouille la gorge mais ne nourrit pas. C’est l’impression que fait ce rapport.

Je vous serre la main et vous souhaite pour le mieux.