Lettre à Suzanne La Follette, 30 janvier 1938

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


Quelques Précisions

Chère Mademoiselle LaFollette,

1) Mon essai concernant les États-Unis d’Europe a été publié d’abord dans le petit quotidien russe Naché Slovo (Notre Parole) à Paris dans une série d’articles en 1915-1916. En 1917, ces séries furent élaborées sous la forme d’une brochure. La brochure a été republiée dans mes œuvres, vol. III, lre partie, à partir de la page 70. La note 74 sur cette brochure dit : « La brochure, Programme de Paix, constitue une élaboration d’articles publiés par L. D. Trotsky dans Naché Slovo en 1915 et 1916. »

Je ne sais pas de quel point de vue l’affaire vous intéresse. En tout cas, je peux mentionner qu’en ma capacité de commissaire du peuple aux affaires étrangères, j’ai exprimé l’idée des États-Unis socialistes d’Europe à John Reed. On peut trouver ma conversation avec lui dans son fameux livre. Personne, dans le parti à cette époque, n’était opposé au programme d'États-Unis socialistes ou soviétiques d’Europe. En 1923, ce mot d’ordre a été officiellement adopté par le bureau politique du parti et le comité exécutif du Comintern. Cela peut être prouvé sans difficulté, si nécessaire. La lutte contre ce mot d’ordre a commencé plus tard, plus ou moins en même temps que la défense de l’idée du socialisme dans un seul pays.

2) Mes commentaires sur la capitulation de Smirnov et de Bogouslavsky ont été publiés dans le Biulleten Oppositsii russe n° 7, novembre-décembre 1929, pp. 10, 11 et 12, sous le titre : « Au sujet du socialisme dans un seul pays et de la prostration idéologique. »

3) Malheureusement je ne peux pas vous donner la source russe de la déclaration de Zinoviev et Kamenev à laquelle il est fait référence à la page 113 du compte rendu de la commission préliminaire. Voici l’histoire de cet important épisode : le 31 octobre 1931, le journal stalinien allemand Die Rote Fahne a publié une communication demi-officielle sur la préparation d’une action terroriste contre moi par le général russe blanc Turkul. J’étais à cette époque en Turquie. La base principale de Turkul était dans la péninsule des Balkans (Bulgarie, Yougoslavie). Il était clair que le G.P.U. était en train de se préparer à travers Die Rote Fahne un alibi pour lui-même. Les organisations de l’Opposition dans différents pays ont immédiatement commencé une campagne contre Staline et le G.P.U. qui me tenaient en Turquie sous la menace du danger de Turkul et autres gardes blancs. L’Opposition a publié des tracts, essayé d’être reçue dans les ambassades soviétiques et ainsi de suite (cette campagne s’est certainement reflétée dans The Militant). En liaison avec cette campagne, j’ai écrit au bureau politique à Moscou une lettre datée du 4 janvier 1932 sur les crimes politiques de Staline en Chine, en Allemagne et ailleurs et j’y affirmais que Staline essaierait d’exterminer physiquement ses opposants. J’ai cité Zinoviev et Kamenev qui m’avaient informé, à la suite de leur rupture avec Staline en 1926 qu’en 1924-1925, Staline pensait déjà à mon assassinat. Il abandonna cette idée, trop dangereuse à cette époque. « Si Staline devait forcer Zinoviev et Kamenev à écrire une répudiation de leur ancien témoignage, continuai-je, personne ne les croirait. » Je n’ai pas publié ma lettre parce qu’en janvier 1932 de telles révélations me semblaient trop compromettantes pour le parti bolchevique en Union soviétique. J’ai envoyé cette lettre, à titre de mise en garde, seulement au bureau politique, avec la mention « tout à fait confidentiel ». De son côté, le bureau politique ne pouvait pas évaluer jusqu’où j’étais allé dans mes révélations. Par l’intermédiaire du Comintern, il a fait circuler en France une lettre avec le rituel « démenti » de Zinoviev-Kamenev cité par M. Goldman au cours des audiences. Afin de préparer son appareil en vue de rélévations et accusations possibles de la part de mes amis français, le comité central du parti stalinien français adressa ce démenti aux secrétaires locaux. A cette époque, nous avions quelques amis dans l’appareil stalinien en France et c’est d’eux que j’ai reçu une ou deux copies de cette lettre, en français naturellement. C’était la vraie source de notre information.

Je ne sais si vous avez besoin de la lettre ci-dessus mentionnée et citée du 4 janvier 1932. Naturellement on peut, si nécessaire, en montrer la copie à M. et Mme Rühle. La lettre finit comme suit : « Ce document sera conservé en un nombre de copies limité mais tout à fait suffisant, en mains sûres dans différents pays : ainsi vous êtes avertis. »

4) Le véritable nom de M. Tarov est Arben A. Davtian. Il est d’origine arménienne, du Caucase. Je joins une lettre originale de lui écrite le 4 août 1935 et envoyée de Perse à Paris après son évasion de déportation. Cette lettre peut être ajoutée, en tant que document original, aux pièces de la commission.

J’espère que cette information sera suffisante. Quand le projet final de rapport arrivera ici, nous le lirons avec toute l’attention nécessaire, mais j’espère que vous le donnerez aussi à M. J[an] F[rankel] qui connaît certains faits, dates, noms, etc., mieux que chacun d’entre nous ici.