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Special pages :
Lettre à Stein, 24 juillet 1932
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 24 juillet 1932 |
Cher Camarade Stein,
Votre communication concernant la Pologne a été pour moi une révélation, car jusqu'à présent je n'avais absolument rien entendu dire à ce sujet. Il y a quelques mois, lors d'une conversation avec un camarade américain qui connaît un peu la Pologne, j'avais exprimé mon étonnement au sujet du fait que les communistes polonais, qui comptent encore tant de marxistes de bonne formation, n'aient pas encore constitué de courant d'Opposition de gauche. Je m'expliquais cela par le fait que l'ancienne tradition du parti ainsi que le sentiment d'appartenir à une organisation illégale ou semi-légale, sont de puissants éléments de conservatisme qui, une fois surmontés, ouvriront la voie à une superbe fraction révolutionnaire.
Les hésitations qu'éprouvent les camarades de l'extérieur sont compréhensibles, mais il faut les surmonter. Cela ne signifie pas que l'on s'oriente à l'aveuglette vers l'exclusion de tous les éléments vraiment marxistes. Mais il faut à tout prix constituer un état-major indépendant de l'appareil du parti, même très réduit dans un premier temps, afin qu'il parle avec une responsabilité pleine et entière, devant les membres du parti et la classe ouvrière dans son ensemble, au nom de l'Opposition de gauche internationale. Ce n'est qu'à cette condition que les camarades à l'intérieur du parti pourront manœuvrer du point de vue organisationnel pour rester au sein du parti aussi longtemps que possible.
Mais, à mon avis, de telles manœuvres doivent être soumises à des conditions de principe et d'organisation très strictes :
a) On a le droit, dans certaines circonstances, de ne pas dire ouvertement tout ce que l'on pense, mais on n'a jamais le droit de dire le contraire de ce qu'on pense.
b) A chaque fois qu'on manœuvre (ou que l'on ne dit pas ce qu'on pense), il faut le faire de telle sorte qu'il soit possible d'expliquer très facilement aux travailleurs qu'il s'agit d'un pis-aller face au maudit régime bureaucratique et anti-démocratique du partit dans le but de rester en contact avec la masse du parti et non pas pour tromper si peu que ce soit les masses du parti.
c) Les manœuvres de doivent pas être laissées à la libre appréciation de chacun, elles doivent être dirigées et strictement contrôlées par l'Opposition de gauche organisée et sa direction.
On ne peut admettre dans l'organisation que des camarades pour lesquels la question est claire dans toute sa dimension historique et pour qui il n'y a donc plus aucun doute sur les grands points. C'est seulement si l'organisation est composée d'éléments aussi solides que les manœuvres seront possibles au sein du parti et que seront créées les conditions d'une action patiente, de longue haleine, fraternelle, sur ceux qui doutent et sont indécis,
Tout cela va évidemment vous sembler évident. Mais il m'est impossible de vous donner plus de conseils concrets, car je connais très peu la situation et les personnes.
C'est également pour cette raison que je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire par "une démarche séparée depuis l'étranger". Faites-vous allusion à la poursuite de la parution de la revue Prolétariat ? Je ne crois guère à la lecture du reste de votre lettre. Sans même m'attarder sur le fait que Prolétariat est très important pour les Polonais de l'étranger, il est impossible même si on ne pense qu'à la Pologne elle-même, de renoncer à éditer de la propagande en attendant que l'organisation de l'intérieur ait pris des formes plus solides, on le peut d'autant moins qu'à en croire votre lettre aux camarades de Varsovie, il règne encore là-bas, sur les questions les plus importantes, pas mal de doutes et d'hésitations. Cela n'est en aucun cas dirigé contre les camarades de Varsovie. Qu'ils ne se laissent pas convaincre si facilement de changer d'orientation dans les grandes questions, voilà qui est compréhensible et, d'une certaine façon, c'est même louable, mais cela constitue, a contrario, un argument en faveur de la nécessaire mise sur pied d'un état-major solide et également en faveur de la poursuite de l'édition du journal à l'étranger, évidemment en plein accord avec les éléments les plus résolus dans le pays même. Je trouve très intéressante votre lettre aux camarades de Varsovie, et je conseillerai à la rédaction du Bulletin international d'en publier des extraits. Quelques remarques complémentaires à propos de votre discussion sur "le socialisme dans un seul pays", sur "l'Internationale paysanne", etc.
1) Dans le second tome de l'Histoire de la Révolution russe, je consacre un grand chapitre de conclusion à la question du socialisme dans un seul pays, du point de vue de l'évolution de l'idéologie du parti. Pour les camarades polonais précisément, qui ont eu dans le passé aussi des liens si étroits avec le bolchevisme, ce chapitre sera, je l'espère, intéressant. C'est pourquoi il serait bon que les amis ou semi-amis de Varsovie ne prennent pas, dans cette affaire, de position définitive sans avoir pris connaissance de cet ouvrage.
2) Connaissez-vous le mot d'ordre que Teodorovitch, le secrétaire général de "l'Internationale paysanne", a lancé lors de sa prise de fonctions ? "L'émancipation de la paysannerie ne peut être l'œuvre que de la paysannerie elle-même" . Cela suffit à caractériser la tendance anti-prolétarienne objectivement inhérente à la paysannerie. J'ai reçu hier le document programmatique du dirigeant de la "Ligue de gauche des paysans bulgares", il est entièrement axé sur le mot d'ordre de Teodorovitch.
3) Je suis tout à fait d'accord avec vous : pour la Pologne le mot d'ordre de "Gouvernement ouvrier et paysan", comme expression agitative de la dictature du prolétariat, est fort important, car il correspond à la réalité sociale. Encore récemment, j'ai conseillé à nos amis grecs de remplacer leur mot d'ordre de "gouvernement ouvrier" par celui de "gouvernement ouvrier et paysan". Il existe en Grèce un important mouvement paysan, qui cherche sa direction auprès de la classe ouvrière. Même nous, en Russie, avons baptisé notre gouvernement "ouvrier et paysan", seulement, il est vrai, après la prise du pouvoir. Mais il est possible d'avancer ce mot d'ordre, en particulier maintenant qu'il existe un exemple historique, y compris avant la conquête du pouvoir, à condition d'avoir soi-même clairement à l'esprit ce qu'il faut entendre par là.