Lettre à Sieva Volkov, 19 septembre 1938

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Le Grand-Père à son petit-fils

Mon cher petit Sieva,

Je t’écris pour la première fois. Notre pauvre petit Léon nous avait toujours tenu au courant, Natalia et moi, de ta vie, de ta croissance et de ta santé. Aujourd’hui l’oncle Léon n’est plus. Il faut que nous établissions, mon petit garçon, des relations directes.

Il y a des choses qui me préoccupent beaucoup, à commencer par la langue. Tu as totalement oublié le russe. Ce n’est pas ta faute, à toi, mon petit Sieva, mais c’est un fait malheureux. Je ne sais pas où est maintenant ton père et s’il vit encore. Mais dans la dernière lettre qu’il m’avait écrite, il y a déjà plus de quatre ans, il m’avait demandé avec insistance si tu n’avais pas oublié la langue russe. Bien que ton père soit un homme très intelligent et instruit, il ne parle pas les langues étrangères. Ce serait pour lui un coup terrible, s’il arrivait qu’en te retrouvant, il ne puisse pas s’expliquer avec toi. La même chose pour ta sœur. J’espère bien qu’elle est en bonne santé et qu’un jour allez vous retrouver. Tu peux bien t’imaginer toi-même combien triste serait cette rencontre si tu ne pouvais pas parler avec ta petite sœur dans votre langue maternelle. Pour moi aussi et pour Natalia qui t’aime beaucoup, la question de la langue est très importante.

Mais il ne s’agit pas seulement de cela. Nous voulons parler avec toi des choses qui concernent l’oncle Léon, ta vie actuelle après sa mort et ton avenir.

J’ai proposé à Jeanne, immédiatement après la mort de l’oncle Léon, de venir ici avec toi. Jeanne a répondu qu’elle ne pouvait pas le faire. Naturellement elle doit avoir ses raisons à elle. Mais ma décision est ferme : tu dois venir ici pour un certain temps, avec Jeanne si elle est d’accord, sans Jeanne si elle ne peut pas. Ici, on pourrait bien discuter avec toi et avec Jeanne (si elle vient) les questions concernant ton avenir, et arranger aussi l’affaire avec la langue russe.

Tu es maintenant un grand garçon. Je dois parler avec toi sur une chose très importante, sur les idées qui furent et restent communes à ta mère, à ton père, à l’oncle Léon, à moi et à Natalia. Je tiens beaucoup à t’expliquer de vive voix la haute valeur des idées et des objectifs qui ont fait et font tant souffrir toute notre famille qui est la tienne.

Je porte la pleine responsabilité pour toi, mon petit-fils, devant moi-même, devant ton père, s’il est vivant, et devant toi- même. Voilà pourquoi ma décision sur ton voyage est irrévocable.

Je t’embrasse tendrement, mon petit Sieva et Natalia aussi.

Nous te disons : A bientôt.