Lettre à Sergueï Mratchkovski, 8 mai 1928

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La Correspondance se développe

Cher Sergei Vitaliévitch,

Enfin nous avons reçu une première lettre de vous. Il s’avère que les lettres n’arrivaient pas pour la simple raison qu’elles étaient pas écrites. Entre-temps je vous ai adressé cinq lettres (sans compter les cartes postales).

1. le 28 février, 2. le 8 mars, 3. le 12 mars, (sur les événements de Canton) 4. le 20 mars – copie de ma lettre à Sosnovsky, 5. le 12 avril, un compte rendu de mon expédition de chasse. Je n’ai pas compté les cartes postales, une ou deux. Avez-vous reçu tout cela ? La plupart des lettres, et peut-être même toutes, ont été envoyées en recommandé.

Il est triste que vous soyez souffrant, et votre extrême indiscipline, excusez-moi, quant à votre santé, m’alarme beaucoup. La camarade Ostrovskaia a tout à fait raison d’exercer sur vous un régime de dictature médicale. Nous apportons d’ici notre soutien plein et entier à ce régime, nous demandons seulement à ce que les écrous ne soient pas serrés en vain. Où donc protéger le cœur si ce n’est au repos complet : six petits mois d’alitement – cela signifie deux ou trois années de gagnées. Et quant à la chasse – quand on a le cœur fatigué – , il est indispensable de se limiter. Je sais combien c’est difficile, et je compatis profondément d’avance, mais il n’en faut pas moins, coûte que coûte, vous refaire une santé.

Vous avez tort de penser, cher Sergei Vitaliévitch, que votre télégramme à Piatakov a soulevé des objections de notre part. Au contraire, nous avons ri fort joyeusement quand nous l’avons appris par Moscou, environ deux semaines avant que nous ne Payions su par vous, et peut-être même plus tôt. Ce genre de télégramme est devenu courant à Moscou et, par cela même, s’est transformé de plaisanterie rageuse en fait politique. Cela veut dire que le but est parfaitement atteint, ce qu’il fallait démontrer.

Nous avons reçu de télégrammes de 1er mai de Oufimtsev et Semachko depuis Kotlas où ils se trouvent actuellement avec Poznansky. Juste hier, j’ai reçu pour la première fois, des nouvelles du camarade Rozanov. Il se trouve à Kustanaï (Ul. Kalinina, D. 77). Il est sorti avec plus de 38° de température et passe au lit une grande partie du temps. Je vous retranscris ci-après une partie de sa lettre : « A présent ça commence à aller mieux, bien que je ne puisse pas encore travailler, je me propose d’employer l’été à fortifier ma santé. Il est difficile de traîner ainsi. Mais dans ce « corps affaibli », l’esprit est tout à fait sain : l’humeur est toujours bonne ; je ne révise pas les valeurs ; les « capitulards » ne m’irritent pas, à l’exception d’A[ntonov]-O[vseenko] : sa silhouette, jointe à sa déclaration, me paraît déjà bien voûtée et pitoyable. »

J’ai reçu hier également une lettre de Préobrajensky. Je dois dire qu’au nombre des correspondants précis s’inscrivent seulement pour l’instant Rakovsky, Sosnovsky, Mouralov et Préobrajensky. Les autres n’écrivent pas de façon aussi précise, bien qu’il y ait toujours beaucoup de courrier, grâce à un grand nombre de correspondants, et il faut utiliser des copies des lettres des uns pour répondre aux autres, car, sans cela, il faudrait se consacrer tout le jour à la correspondance. Préobrajensky m’informe que Paulina [Vinogradskaia] quitte Moscou pour le Kazakhstan. Ce matin est arrivé un télégramme de Bogouslavsky : « Je m’inquiète de l’absence de réponse à mes deux lettres, télégraphiez Kouznetskaia santé conditions de vie », mais je n’ai pas à ce jour reçu une ligne de lui, bien que je lui aie envoyé une carte postale. Le plus vraisemblable est que ses lettres sont encore en route. Une lettre de Mouralov a mis trente-trois jours pour arriver (je l’ai reçue hier). Nikolaï Ivanovitch se préparait seulement pour la chasse du printemps, l’Irtych était chez lui encore couverte de glace au moment où il a expédié sa lettre et chez nous la chasse s’est terminée il y a trente-trois jours. Une carte postale d’Ilenka est arrivée hier. Il se plaint de ne pas recevoir de réponse de moi. Une fois encore, je ne lui ai pas écrit moins de quatre fois, toujours en recommandé, mais les lettres voyagent encore, manifestement. Grigorov a écrit une carte en route. Il est sain et sauf. J’ai reçu hier une lettre de Valentinov qui, comme vous le savez, vit avec A. G. Beloborodov.

Hier est arrivé un télégramme de Rostov : « Chaleureux salut de Pinega du groupe d’avril des bolcheviks de Rostov : Alferov, Leonov », télégramme de Marinsk. Hier encore est arrivé un télégramme de Termez, avec un retard considérable dû à l’altération des communications : « Salut du 1er mai. Choumskaia, Radzévitch, Mikinia. » C’est le vingt-deux ou vingt-troisième télégramme de 1er mai, presque tous de groupes ; il y en a de Moscou, de Kharkov, du Caucase, etc.

Ceci pour les deux derniers jours. Il est vrai que la correspondance n’est pas aussi abondante tous les jours, mais, dans la mesure où le nombre de correspondants augmente, la correspondance a tendance à se développer sans cesse.

Je vous ai fait part de mes réflexions sur les événements de Canton. Cette lettre a été envoyée le 12 mars. J’espère que vous l’avez reçue. E[vgenii] A[lexeievitch] [Préobrajensky] a envoyé ses objections à ce sujet ; vous vous souvenez, bien sûr, que nous étions quelque peu en désaccord déjà l’automne dernier. Il va de soi qu’il n’a pas hésité une minute sur les questions telles que l’insuccès de la participation au Guomindang ou au gouvernement de Wuhan. La communauté d’idées de pensée sur ces deux points, plus le mot d’ordre des soviets et de la confiscation de la grande propriété terrienne (selon les conditions chinoises), avaient tranché la question pour cette période. Mais, à présent, la révolution chinoise exige que l’on réexamine son orientation fondamentale. A vrai dire, elle l’exige depuis l’automne dernier. J’avais écrit à ce sujet, comme vous vous en souvenez, des lettres insistantes depuis Nalztchik mais je me suis heurté à des objections purement centristes de la part de Zinoviev et aux hésitations de certains des nôtres. Aujourd’hui, tant sur tout le cours des événements au Comintern (la résolution du dernier comité exécutif, le prochain congrès mondial), il est indispensable de prendre position haut et clair sur ce sujet. Cette question n’est en aucun cas moins importante que, disons, celle de la relation du koulak, ou celle de l’industrialisation chez nous. Je vous envoie ici une copie de ma correspondance avec E[vgenii] A[lexeievitch] sur les affaire chinoises. Je ne vous joins pas ma première lettre, puisque vous devez l’avoir.

En conclusion, encore quelques mots sur notre petite vie. Nous avons attendu Sérioja qui devait venir de Moscou début avril. Il y a été retenu par des examens et n’est parti que le 28, mais aujourd’hui, 8 mai, il n’est toujours pas là. Ljova est parti à sa recherche sur les chemins, entre Pichpek et Alma-Ata. Un télégramme est arrivé, disant que Sergéi serait quelque part en chemin. Nous les attendons tous les deux aujourd’hui.

Ces derniers jours, un temps très chaud s’est installé, apportant une épidémie. Chez Natalia Ivanovna, la malaria s’est complètement installée depuis un mois et demi, deux mois. Jusqu’à ces derniers temps, j’étais encore dans le doute, mais voici déjà deux semaines qu’il n’y a plus de doute possible, et que je suis inscrit au nombre des malariens. L’endroit ici est extrêmement contaminé par la malaria. Je vous ai déjà écrit, je crois, que nous nous préparions à déménager, au printemps, aux « jardins », comme on les appelle. C’est un peu plus haut, dans les montagnes, à quelque 8 verstes de la partie de la ville où nous habitons. Le déménagement n’aura sans doute pas lieu avant 10-12 jours.

En ce qui concerne mon travail, je vous ai déjà écrit ; bien que je travaille beaucoup, j’avance lentement du fait de l’étendue des thèmes. Et j’ai envie de mettre à profit les circonstances pour un travail plus fondamental. Voici semble-t-il le plus important de ce que je puis vous communiquer pour cette fois.