Lettre à Raissa Adler, 10 ou 11 avril 1929

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Pour une Collaboration principielle

Chère Amie,

Pour éclairer votre camarade — et d’autres aussi — je vous envoie un extrait de la lettre que j’ai adressée à un camarade de Paris :

« 5. Quelques mots des questions internationales. Je manque encore d’informations, car je suis pris par d’autres affaires, et cette situation va se prolonger pendant une bonne semaine. Une chose, en tout cas, est claire pour moi en ce qui concerne la France : le groupe le plus important est et reste Contre le Courant. Entre ce groupe et le groupe de La Révolution prolétarienne, il faut établir des liens étroits et si possible une répartition correcte des râches. Cela n’exclut pas, bien entendu, la critique fraternelle. On ne peut en aucun cas établir une collaboration en masquant, ou en minimisant des divergences importantes sur les principes. Mais le débat sur ces divergences sera mené dans le cadre d’une collaboration qui se prolongera jusqu’à la victoire de la classe ouvrière et au-delà.

Il ne peut être question de coopération avec le groupe de Souvarine tel qu’il se présente aujourd’hui. Il est indispensable d’établir une délimitation théorique parfaitement claire, et d’engager la polémique, calmement, mais fermement. Cette ligne, ainsi que les nouvelles leçons politiques, ramèneront-elles Souvarine sur nos positions ? Je ne saurais le dire. Nous devons faire notre possible pour le mettre sur cette voie. Si nous n’y parvenions pas (ce qui serait regrettable, car c’est un homme de grande valeur), il ne nous resterait plus qu’à gagner les meilleurs de ses partisans.

En ce qui concerne Treint, je ne vois aucune raison de principe qui s’oppose à ce que nous collaborions avec lui. En venant à l’opposition à l’époque de son écrasement, en restant dans l’opposition alors que Suzanne Girault* la quittait. Treint est quelqu’un d’énergique, qui s’efforce de sortir de sa chambre, ce que ne font pas assez beaucoup de nos partisans. Ce qu’on dit de lui qu’il est impulsif, qu’il tombe d’une extrême dans l’autre, etc. est sans doute parfaitement exact. Il ne s’agit pas de faire de Treint l’unique dirigeant de l’Opposition, mais de l’intégrer à l’activité et de le mettre à l’épreuve. S’il n’est pas possible à ce stade de l’intégrer à l’activité dans le cadre national, on peut et on doit s’assurer sa collaboration dans le travail international. Le risque de lui permettre ainsi de prendre trop d’autorité n’est guère fondé — et serait repoussé par le sectarisme du groupe. Si Treint élargit son autorité pour marcher de conserve avec nous, nous avons tout à y gagner. Et si, étant engagé dans une collaboration avec nous, il prenait des positions de compromission, il cesserait d’exister politiquement; les meilleurs de ses partisans viendraient à nous. Il n’y a rien de pire que le statu quo dans les relations entre groupes et cercles proches. Ce genre de secte peut entrer dans un long processus de pourrissement. Le mouvement est nécessaire. Il faut arracher ces cercles à leur inertie. Il ne faut pas laisser se développer le conservatisme de groupe, particulièrement pernicieux en France. Il faut se préparer à franchir avec audace le pas du regroupement des forces sur une base nouvelle, plus large. »

Je crois que tout ce que j’ai dit là s’applique également à l’Autriche. Personne n’est en mesure de montrer clairement et précisément en quoi consistent les divergences de principe avec Frey, ni si elles sont réellement insurmontables. Tout le monde admet que Frey est en liaison avec une centaine d’ouvriers intéressants. Par les temps qui courent, c’est un chiffre énorme. Comment peut-on repousser un groupe de cette nature sans avoir tenté d’engager une collaboration avec lui ? En ce qui concerne tel ou tel trait personnel de Frey, je ne peux que répéter ce que j’ai dit plus haut de Treint. Certains camarades ont jadis considéré comme inadmissible le bloc avec Zinoviev. Pour nous, justement, la conclusion de ce bloc a été bénéfique, tandis que Zinoviev a été liquidé politiquement. Dans un bloc, ceux qui tirent le maximum de bénéfice sont toujours ceux qui sont les plus fidèles à leur ligne, les plus fermes sur les principes, les plus forts. Si à une seconde, ou une troisième étape de cette collaboration, Frey jugeait nécessaire de rompre avec nous, les meilleurs de ses partisans ne le suivraient pas, à l’instar des meilleurs ouvriers zinoviévistes, qui sont restés avec nous.

Je comprends parfaitement que, pour Mahnruf, il apparaisse impossible aujourd’hui de collaborer avec Frey sur le sol de l’Autriche. On ne peut imposer l’union à coup de mesures organisationnelles, et de l’extérieur, qui plus est. La scission est, à mes yeux, une donnée objective. Mais, d’un point de vue internationaliste, il serait radicalement erroné de repousser le groupe de Frey sans avoir pour cela de fondement de principe.

Est-il exact que I. Strasser flirte avec l’opposition de droite? Ce serait d’autant plus regrettable que nous allons engager contre les droitiers une lutte acharnée.

Nous ne faisons toujours que bivouaquer. Il n’y a pas de réponse du gouvernement allemand.

Je viens de recevoir votre lettre du 6 avril. J’ai reçu la traduction allemande, merci. En ce qui concerne F[rank], il est bien entendu que j’enverrai de l’argent pour le voyage dès que le problème de notre prochain lieu de séjour aura été résolu. La lettre sur les groupuscules peut être imprimée. Je prends acte des informations que vous me donnez sur la faiblesse de vos moyens techniques. Naturellement, on ne peut demander au groupe que ce qu’il a la force de faire.

Le problème des brochures à large diffusion et des tâches du moment, d’une façon générale, ne se posera que lorsque sera résolue la question de notre installation en Europe. Je souhaite consacrer entièrement la prochaine période à l’édition de mes livres les plus importants, et tout d’abord de l’autobiographie que j’écris, pour que nous en tirions profit aussi sur le plan politique.