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Lettre à Nadejda Kroupskaïa, 17 mai 1927
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 17 mai 1927 |
Chère Nadejda Konstantinovna. Je vous écris sur une petite machine pour ne pas vous obliger à déchiffrer mon écriture, qui ne s'est pas améliorée avec les années.
J'ai lu votre lettre. Bien qu'elle soit adressée personnellement à Grigori Zinoviev, l'affaire n'est absolument pas personnelle, c'est pourquoi je me permets de donner mon opinion.
Ce qui m'a le plus étonné est le mot "raffut"[1]. Ce mot a été utilisé par Kossior lors du dernier plénum à propos de rios interventions sur l'écrasement des ouvriers chinois et de nos capitulations devant le menchevisme anglais. Qui a raison sur ces sujets : nous ou Staline ? Ou existe-t-il une troisième position ? Peut-on parler de "raffut" sans donner une réponse léniniste à cette question fondamentale ? Faire du "raffut" signifie se chamailler à propos de futilités ou absolument sans raison. L'écrasement des ouvriers chinois par notre "allié" Tchang Kai-chek, que nous nourrissions, habillions, chaussions, et à qui nous faisions de la publicité en ordonnant aux communistes chinois de se soumettre à lui - cet écrasement, est-ce une bagatelle, un rien, sur quoi il faut passer ? Et le fait que nous ayons déclaré, à la face du monde entier, que nous étions à l'unisson avec les mencheviks anglais entièrement corrompus[2] au plus fort du vil travail qu'ils ont effectué en relation avec le prolétariat anglais, la Chine et nous ? Qu'est-ce donc que tout cela : une plaisanterie, une bagatelle ? Et notre critique, est-ce du "raffut" ?
Des faits aussi symptomatiques et inquiétants que l'instruction électorale ou encore l'usage de la formule "Enrichissez-vous" devaient également éveiller nos soupçons. Mais il ne peut y avoir, à la lumière des derniers événements, ne serait-ce que le plus petit doute sur le fait que Staline et Boukharine trahissent le bolchevisme dans sa substance même, l'internationalisme révolutionnaire prolétarien. S'agissant pourtant de la question des relations avec la bourgeoisie "nationale" chinoise, toute l'histoire du bolchevisme depuis 1904, date à laquelle cette question est véritablement apparue pour la première fois, est effacée.
Nadejda Konstantinovna, vous ne dites pas un mot pour indiquer qui a raison, de nous ou de Staline, sur la question dont dépendent l'issue entière de la révolution chinoise et toute l'orientation du Comintern. Vous ne faites que répéter le mot "raffut" lancé par Kossior.
Vous dites que l'autocritique est une chose, et la critique de la partie adverse une autre. Mais vous êtes membre de la commission de contrôle centrale (CCC), pourquoi alors ne garantissez-vous pas à chaque membre du parti la possibilité de faire son autocritique ? En effet, nous demandons au Politburo et au présidium de la CCC de convoquer une réunion du plénum à huis clos, sans sténogrammes, pour discuter de la situation sur le fond. Bien sûr, nous nous sommes réunis là-bas pour défendre jusqu'à la dernière extrémité les principes fondamentaux du bolchevisme sur les questions de base de la révolution mondiale. Mais, comme chacun sait, notre demande a été rejetée. Pourquoi n'y a-t-il pas d'"autocritique" ? Je vous ai dit encore tout récemment qu'il n'y a pas d'autocritique, car nous avons un régime politique malade, brutal et malhonnête[3]. Est-ce que le régime se serait amélioré au cours du dernier semestre ? Ou bien les questions exigeant aujourd'hui une autocritique seraient-elles de moindre importance, infimes ? S'agit-il de "raffut" ?
Nous, l'aile révolutionnaire du parti, subissons des défaites. Oui, indiscutablement. Mais nous essuyons des défaites du même genre que celles qu'a connues le bolchevisme entre 1907 et 1912. La défaite de la révolution allemande en 1923, les défaites en Bulgarie, en Estonie, l'échec de la grève générale en Angleterre et la défaite de la révolution chinoise en avril ont considérablement affaibli le communisme international. Ce processus s'exprime de deux manières : d'une part, le nombre de membres des Partis communistes et le nombre de voix qu'ils ont recueillies ont considérablement diminué ces dernières années ; d'autre part, les courants opportunistes se sont considérablement renforcés à l'intérieur des Partis communistes. Pouvons-nous nous couper de ce processus mondial ? Les très lourdes défaites de la révolution mondiale et la lenteur de notre essor frappent aussi notre prolétariat, cela va de soi. C'est ce que ne comprennent pas les cancres de la bureaucratie, qui croient que l'état d'esprit du prolétariat dépend des antisèches de l'agit-prop, et non des processus sociaux et politiques mondiaux.
L'affaiblissement des dispositions révolutionnaires internationalistes de notre prolétariat est un fait que renforcent le régime du parti et le faux travail d'éducation ("le socialisme dans un seul pays", etc.). Est-il extraordinaire que, dans ces conditions, il faille que l'aile gauche, révolutionnaire et léniniste nage à contre-courant ? On nous écrase avec d'autant plus d'acharnement que les faits confirment nos prévisions. Cela se fait en toute légalité, et de manière inéluctable du point de vue authentiquement marxiste, dans une phase du cycle révolutionnaire marquée par un affaiblissement, certes temporaire, mais profond. Mais nous, et nous seuls, conservons l'héritage idéologique du marxisme révolutionnaire, nous avons appris et nous enseignons - sans Lénine - la mise en oeuvre de la méthode d'analyse léniniste selon laquelle se réa-lisent même les signes précurseurs de ce qui se prépare. N'avons-nous pas averti le parti de l'écrasement inévitable du prolétariat désarmé par Tchang Kai-chek que nous avions armé ? N'avons-nous pas prédit il y a près d'un an la honteuse capitulation berlinoise face aux principes que Vladimir Ilitch a consacré presque toute sa vie à combattre ? Et avons-nous tort d'attirer l'attention sur le fait que le cours erroné de la politique intérieure peut prendre des formes terribles pour nous en cas de guerre ? Et ne devons-nous pas le clamer aujourd'hui avec une énergie centuplée, tant qu'il n'est pas encore trop tard ? Est-ce que c'est du "raffut" ? Est-il possible que ce soit du "raffut" ?
Maintenant, Staline a décidé de changer la "lutte jusqu'à épuisement" conduite contre l'opposition au cours du dernier semestre en une "lutte d'extermination". Pourquoi ? Parce que Staline s'est affaibli ; sa banqueroute sur la question chinoise et anglo-russe est manifeste, de même que les lourdes conséquences de cette banqueroute sur notre position internationale. L'aile gauche exerce une pression croissante sur Staline : pourquoi s'est-il lancé dans la grève générale même en Chine ? Pourquoi exciter[4] Chamberlain et provoquer les dangers d'une intervention ? - Nous allons construire le socialisme dans un seul pays. Voilà la tendance fondamentale, basique, radicale de la situation donnée, qui "triomphe" de nous actuellement. C'est précisément pour la raison que Staline s'est infiniment affaibli - sous les coups d'une sourde critique de droite et de notre critique, à moitié cordiale, de gauche - qu'il est contraint de changer sa lutte jusqu'à épuisement en une lutte d'extermination. La question ne porte pas sur des bagatelles ni sur des ajustements mineurs, mais sur la ligne fondamentale du bolchevisme quant aux questions de base. Celui qui nous parle de "raffut" nous propose d'aller dans une direction, qui, dans ces conditions, va à contre-courant du bolchevisme.
Non, Nadejda Konstantinovna, nous ne suivrons pas cette voie. Nous allons nager à contre-courant, quand bien même vous répéterez à haute voix après Kossior le mot "raffut".
Et jamais nous n'avons ressenti aussi profondément qu'aujourd'hui, et sans possibilité d'erreur, nos liens avec toute la tradition bolchevique, en ces jours pénibles où nous et nous seuls préparons les lendemains du parti et du Comintern.
Je vous souhaite bonne santé de tout coeur.