Lettre à N. N. Pereverzev, début 1928

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« Instructions à Pierre »

1. Quelle est la tâche principale de l’Opposition dans les sections de l’Internationale communiste ? La conquête de l’intérieur des partis communistes. Les communistes ont pu conquérir la majorité dans le parti indépendant d’Allemagne et dans le parti socialiste français. Il n’y a donc aucune raison de croire que l’Opposition, avec une politique juste, ne puisse pas conquérir la majorité prolétarienne dans les partis communistes actuels.

2. Une politique juste de l’Opposition dans les partis communistes de chaque pays suppose une orientation juste vis-à-vis de l’Internationale communiste, du P.C. de l’U.R.S.S. et de l’Union soviétique. Il faut bien comprendre les particularités concrètes de la période actuelle de transition qui se contredisent et ne pas prendre pour terminé ce qui est en train de se développer.

3. Partir de l’idée que Thermidor s’est déjà produit en Union soviétique serait faux. Ce serait favoriser son entrée en scène. Les forces de classe n’ont pas encore dit leur dernier mot. La politique de l’Opposition internationale doit tendre à empêcher, d’accord avec l’Opposition du P.C. de l’U.S., le développement ultérieur de Thermidor, et à reconquérir les positions perdues par le prolétariat.

4. Les éléments petits-bourgeois du P.C. de l’U.S. dirigent le parti et l’État. Mais ils sont obligés de s’appuyer sur la classe ouvrière et de s’affirmer contre l’impérialisme mondial. Ils font des concessions à la bourgeoisie. Mais une attaque plus forte de la part de la bourgeoisie pourrait amener dans le parti un développement à gauche décisif. Aucun de ces processus n’est arrivé à sa conclusion.

5. L’Union soviétique joue, à l’échelle internationale, un rôle révolutionnaire, même avec sa direction actuelle. L’existence de l’Union soviétique a toujours été la source qui a alimenté la révolution chinoise. La direction du P.C. de l’U.S. a livré la révolution chinoise à la défaite. Il faut attaquer la direction du P.C. de l’U.S. sans se mettre en contradiction avec l’Union soviétique.

6. Cela se rapporte aussi bien au P.C. de l’U.S. qui tend de plus en plus à ne faire qu’un avec l’État, qu’à l’Internationale communiste. Si l’Opposition se dressait contre l’Union soviétique en tant qu’État petit-bourgeois et contre l’Internationale communiste en tant que parti petit-bourgeois, elle se transformerait obligatoirement en secte. Nous devons mener la lutte pour conquérir le P.C. de l’U.S. et l’I.C.

7. Cela signifie, dans la période présente, pas de deuxième parti, mais une fraction, bien organisée pour nous donner la possibilité d’exercer sur le parti une influence systématique.

8. Les considérations exprimées plus haut ainsi que les expériences faites récemment en Allemagne (Altona) parlent contre la présentation de candidats à part. Nous n’avons pas le droit de briser toute notre ligne pour de problématiques mandats.

9. La formation d’une Ligue des communistes de gauche est fausse. Le nom de l’opposition est assez populaire et il a un caractère international. Le nom de fédération ne donnera rien, mais il peut devenir le pseudonyme d’un deuxième parti. Nous avons assez de raisons de croire que l’insuffisante compréhension des nécessités de lutter pour conquérir les partis de l’intérieur doit être mise au compte des mêmes tendances qui poussaient autrefois au refus de la tactique du front unique et du travail dans les syndicats.

10. La question d’un quotidien indépendant doit être réglée à partir du même point de vue. Un tel journal serait une arme pour influencer systématiquement le parti et jouerait de plus un rôle important parmi les sans-parti. Mais un journal qui serait mal présenté pourrait détacher du parti l’opposition des travailleurs et en faire une secte.

11. L’orientation de M[aslow] et de R[uth Fischer] vis-à-vis de l’Opposition du P.C. de l’U.R.S.S. ressemble plus à une « manœuvre » qu’à une position principielle. Leur tâche principale est d’affaiblir l’autorité de l’Opposition dans son ensemble. Leur prochaine tâche consiste à justifier indirectement les capitulards (Zinoviev et Kamenev) en démontrant qu’il y a pire. Cette position fait apparaître Maslow comme un juge absolument pas qualifié puisqu’il est en réalité l’allié des capitulards. Nous devons repousser cette manœuvre et en découvrir complètement le sens caché sans aggraver inutilement nos rapports (oralement ou par écrit, et seulement dans le cas d’absolue nécessité dans la presse).

12. La déclaration des quatre (Smilga, Mouralov, Rakovsky et Radek) au XVe congrès du parti et surtout la déclaration des bannis au comité exécutif de l’I.C.6 doivent être diffusées aussi largement que possible. Il faut bien expliquer que cette déclaration émane des chefs de l’Opposition de 1923, plus Smilga, qui s’est joint à leur groupe.

13. La lutte contre le prétendu « trotskysme » est le harpon à l’aide duquel Staline tire Zinoviev et Zinoviev ses gauches. Dans la mesure où Maslow est accroché lui aussi à ce harpon, il est obligé d’embellir l’attitude des capitulards et de chercher à prouver qu’ils ne sont pas pires que d’autres.

14. Il faut si possible publier en différentes langues la lettre adressée à l’Institut d’histoire du parti consacrée à la question du trotskysme.

15. Les lettres ci-jointes concernant les déclarations de Zinoviev et Lachévitch sur le « trotskysme » (la lettre de Trotsky, Piatakov, Préobrajensky, etc.) ne sont pas pour le moment destinées à la presse. On doit les utiliser pour l’information.

16. L’organe français Contre le Courant fait une bonne impression. Malheureusement nous n’en avons que des exemplaires dépareillés, numéros 1 et 4. Nous n’avons pas reçu non plus la plate-forme de l’opposition française. Les articles de la rédaction sont bons. Mais on ne comprend pas pourquoi la rédaction fait cette réserve de ne prendre la responsabilité que des articles qu’elle rédige. La direction a le devoir de prendre la responsabilité de tous les articles. Un organe fractionnel doit être caractérisé par une unanimité idéologique totale.

17. En liaison avec les déclarations de principe exposées plus haut sur la position de l’Opposition vis-à-vis de l’Union soviétique, nous devons faire quelques remarques sur l’article « Le Retour de ceux qui ont vu », ainsi que d’autres sur la situation en Union soviétique.

Dans le leader du n° 1, on dit de façon très juste que démasquer la politique opportuniste ne signifie en aucun cas servir la bourgeoisie. Mais il est de la plus haute importance de montrer dans chaque numéro au lecteur le point de vue suivant lequel nous considérons la situation intérieure de l’Union soviétique. Les communistes des pays étrangers doivent toujours tenir compte de trois facteurs :

a) Même sous une direction opportuniste, l’Union soviétique donne aux ouvriers et aux paysans incomparablement plus de choses que n’en pourrait donner un État bourgeois au même niveau des forces productives.

b) La cause principale des grandes difficultés intérieures de l’Union soviétique, c’est l’activité insuffisante du prolétariat européen et l’insuffisante combativité des partis communistes européens :

c) La social-démocratie européenne (menchevisme), qui se saisit avec une joie mauvaise de toutes les nouvelles sur les difficultés intérieures de l’Union soviétique, porte la responsabilité principale de ces difficultés.

18. Le congrès de l’I.S.R. s’ouvrira le 15 mars. Il faut déjà faire de cette question le centre de notre activité :

a) il faut tout faire pour que des délégués de l’Opposition soient envoyés au congrès,

b) il faut préparer des thèses de principe et des propositions pratiques s’appuyant sur les expériences syndicales de différents pays.

Il ne faut pas perdre une minute, car il ne reste pas beaucoup de temps.

19. Il faut déjà commencer à faire des préparatifs pour le congrès de l’I.C.

a) Il faut préparer des thèses sur tous les points de l’ordre du jour, de telle façon que, dans leur ensemble, ces thèses présentent la plate-forme de la gauche léniniste de l’I.C. (Opposition).

b) Il faut entreprendre une action grandiose en faveur des opposants exclus un peu partout de l’I.C. et des déportés d’Union soviétique.

c) Il faut commencer à établir un programme de l’I.C. (le programme de Boukharine est un mauvais programme pour une section nationale de l’I.C., et pas le programme d’un parti communiste mondial).