Lettre à Maxime Gorki, 28 janvier 1924

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Cher Alexéï Maximovitch [1], Nous avons inhumé hier Vladimir Ilitch. Il est resté jusqu'à sa mort tel qu'il était auparavant: un homme doué d'une grande volonté, qui savait se dominer, rire et plaisanter jusqu'à la veille de sa mort; il se vouait affectueusement aux autres. Ainsi, le dimanche soir, l’opticien, le professeur Averbach est venu en visite chez V. I. Quelque temps après son depart, V. I. est allé voir si on lui avait servi a manger. Autour du journal, que nous lisions tous les jours, nous échangions nos vues. Une fois il ressentit une vive émotion en apprenant dans le journal que vous étiez malade. Il demanda, bouleversé: « Qu'y a-t-il, qu'y a-t-il ? ». Le soir je lui lisais des livres choisis par lui dans les paquets qui lui parvenaient de la ville. Il a mis de côté votre livre Mes Universités. D'abord il a demandé que je lui lise quelque chose sur Korolenko, et puis Mes Universités. Et puis encore. Dans le livre de Guilbeaux[2] il a trouvé une référence à votre article sur Lénine, en date de l'année 18, paru dans 1'« Internationale communiste » [3], et il m'a demandé de lui relire cet article. Pendant que je lisais, il écouta avec la plus vive attention. Je vous embrasse bien fort, Alexéï Maximovitch, je vous souhaite bien des forces et bonne santé. Prenez bien soin de vous. N. Kroupskaïa

  1. Gorki, Maxime, nom de plume d'Alexis Maximovitch Pechkov (1868-1936): écrivain, éditeur et dramaturge réaliste-romantique. A connu une enfance misérable et exercé de nombreux métiers avant de devenir journaliste et écrivain au début des années 1890. D'abord proche des populistes, il soutient ensuite le Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR) et sa fraction bolchévique. Participe activement à la révolution de 1905. Arrêté puis libéré par une campagne internationale, il part en exil, d'abord aux Etats-Unis, puis s'installe à Capri en Italie jusqu'à son retour en Russie en 1913 à la faveur d'une amnistie. Participe au Ve Congrès du POSDR à Londres (1907) où il fait la connaissance de Lénine. Organise à Capri une école de cadres ouvriers avec Bogdanov et Lounatcharsky (1909). Après la Révolution d'Octobre, s'oppose d'abord farouchement aux bolchéviques avant de les soutenir de manière moins critique à la suite de l'attentat contre Lénine à l'été 1918. Souffrant, il quitte la Russie en 1921 et s'installe à nouveau dans un semi-exile en Italie (1923). Revient périodiquement en URSS à partir de 1927 et s'y installe définitivement, comblé d'honneurs par Staline, à partir de 1932. Il chante les louanges du régime et occupe une place centrale dans la création de la littérature soviétique et du « réalisme socialiste ». Meurt officiellement d'une pneumonie en juin 1936, certains historiens évoquant la possibilité d'un empoisonnement.
  2. Le portrait authentique de Vladimir Ilitch Lénine, Henri Guilbeaux, Librairie de l'Humanité, Paris, 1924.
  3. Il s'agit de l'article de Gorki intitulé « Vladimir Ilitch Lénine » publié en juillet 1920 dans le n°12 de la revue l' « Internationale communiste »