Lettre à Marguerite Rosmer, 21 janvier 1930

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Ma chère amie,

Votre dernière du 14/1 aggrave mes inquiétudes. Vous me promettez, pas pour la première fois — hélas — qu’on va m’écrire dans « quelques jours » sur le B[ureau] International]. La chose traîne depuis l’été, malgré la décision faite et même signée à Prinkipo. Pendant des mois c’était V[an] O[verstraeten] qui sabotait l’affaire. Et depuis ? J’ai envoyé un projet de circulaire, il y a au moins deux mois. On a proposé de remettre toute l’initiative à La Vérité. J’ai consenti tout de suite. Tout le monde attend l’initiative promise. Et maintenant, on me propose d’attendre quelques jours pour avoir une lettre « sur » le B[ureau] international.] Or j’ai déjà écrit une quinzaine de lettres dans tous les pays avec le même refrain : « La Vérité a pris l’initiative, attendez un peu... » Hier, j’ai expédié 4-5 lettres avec la même phrase : « Je n’y suis pour rien, je ne connais même pas les raisons du retard inadmissible. »

On a perdu du temps et dans la politique cela signifie qu’on perde la bataille. Et la pire chose : on ne dit jamais rien de précis.

J’attendrai naturellement la lettre promise. Mais j’espère bien y trouver la réponse définitive.

Quelques mots sur ma « série ». Elle est écrite pour La Vérité[1] et non pour une brochure. Qu’on m’explique les raisons pour lesquelles La V[érité] n’en veut pas. (D’ailleurs on me doit encore une explication pour le renvoi de mon article contre Monatte à La Lutte [ de Classes].) Si c’est le traducteur qui vous manque, je suis prêt de me traduire moi-même avec R[anc] (comme je l’ai fait avec l’article contre Monatte pour accélérer son apparition). Le temps ne me manque jamais quand il s’agit de La V[érité\. Et, dans ce cas, il s’agit d’une question décisive. Le travail m’a pris un mois. La question est brûlante. Les chiffres sont déjà en retard. On a créé l’hebdomadaire précisément pour ne pas être en retard, du moins dans les questions les plus importantes. Pour vous dire nettement : je crois qu’il y a d’autres raisons[2]. Qu’on me le dise. Je suis tout à fait prêt de les discuter amicalement.

On veut peut-être libérer La Vérité des articles « doctrinaux ». Il y a une tendance pareille autour de La V[érité]. Mais cela signifierait tuer La V[érité]. La Lutte [de Classas] peut et doit compléter La V[érité], mais pas la remplacer dans le travail d’éducation doctrinale. C’est impossible. La V[érité] est un microcosme, elle doit être un monde en soi. Elle ne peut se faire chemin s’il n’éduque pas. Elle doit contenir aussi des articles qui ne sont appréciés que par une centaine de lecteurs. Mais [c’est] cette centaine qui assurera la victoire de La V[érité],

Il y a aussi une autre explication : c’est la préoccupation de « l’indépendance » de la part de Naville. Il faut que je touche aussi cette question épineuse parce que il s’agit de La V[érité\, de son avenir. Avant son départ d’ici N[aville] m’a dit que je ne doive (sic)pas écrire (ou — beaucoup, trop, etc.) dans La V[érité] sur les questions françaises. Ce n’était pas l’expression, mais le sens. J’en ai (sic) mentionné d’ailleurs dans une lettre à A[lfred]. J’étais tout à fait stupéfait par cette conception négative et assez « nationale » de l’indépendance. C’est la même note qu’il souligne dans sa dernière lettre concernant la situation en Allemagne. L’ « indépendance nationale » est pour lui ce que, pour Monatte, [est] l’autonomie syndicale. Je préfère cette dernière.

Les lecteurs ouvriers ne cherchent pas dans leur organe l’indépendance de N[aville], mais au contraire l’homogénéité d’une tendance révolutionnaire et internationale. Us ne s’intéressent pas si l’article est signé par un nom français ou non, mais s’il est juste et clair. Et toutes ces choses moins que secondaires jouent pour N[aville] leur rôle très grand, trop grand.

C’est un grand danger surtout si, au lieu d’éduquer Naville lui-même, on le laisse « éduquer » les autres. Il est trop intellectuel et trop fraîchement venu de l’école surréaliste et puis souvariniste. Et quand je souligne parfois qu’il est de trop intellectuel, c’est pas (sic) pour lui causer du mauvais sang mais pour attirer son attention sur un trait qui peut l’empêcher de s’approcher (pour la première fois !) de la classe ouvrière.

Le regroupement se produit pour le moment sur le terrain de questions syndicales. [Le] Monattisme est pour cette période le plus grand danger. C’est lui qui aide Monmousseau à garder les chancelants avec lui et c’est lui aussi qui pousse les désespérés vers Jouhaux. C’est dans cette question que La V[érité] devrait opérer avec le rasoir dans la main. Malheureusement c’est pas (sic)le cas... Et Monatte répétera librement de nouveau l’histoire de la poule couveuse des petits canards (et aussi de grandes canailles, passez-moi ce mauvais jeu de mots).

Ma chère Marguerite, j’ai écrit cette lettre avec pleine franchise — pour éliminer les malentendus qui commencent à s’accumuler. Je suis sûr que la lettre sera comprise par vous et par A[lfred] dans le même esprit dans lequel elle est écrite.

  1. La brochure pourrait être publiée (ou non) après la publication de la série.
  2. Comme il y en a dans la question du B[ureau] international].