Lettre à Léon Sedov, 30 juin 1931. Sur l'Allemagne

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Mon cher Ljova,

J'ai dicté un grand projet pour S(eipold). En faits ce n'est pas un projet, c'est le texte même de son discours. Je lui ai délibérément donné le caractère d'un projet d'exposé puisque l'objectif est d'expliquer et de prouver de cette tribune - pour cela il y a des centaines d'autres possibilités - l'objectif est de proclamer de cette tribune, sans idées précises. Il est très important pour S(eipold) et les autres camarades de le comprendre. La tentative d'introduire dans un discours autant d'idées, de faits, d'arguments, que possible détruit le discours puisque l'orateur s'arrangera pour avoir le temps de n'en dire que le dixième et il arrive toujours que c'est le plus important.

J'ai touché aussi des questions qui ne sont pas des questions intérieures allemandes, y compris celle du chômage. Un ou deux paragraphes peuvent être introduits, mais encore une fois sous la forme d'un projet, dix à quinze lignes pour chaque paragraphe. Quoiqu'il arrive, S(eipold) doit avoir l'occasion de parler. Cela donnerait tout de suite à l'Opposition de gauche allemande une position nouvelle.

Je n'insiste pas, bien entendu, pour ma propre formulation. J'ai dicté cela comme une "improvisation", à la fois parce que je n'avais pas de temps à perdre et parce que je suis très occupé. Mais puisque les questions sont les mêmes que nous tous avons ou à traiter dans le passé, leur formulation, je l'espère, sera en général satisfaisante surtout que Frankel va lui donner le style allemand indispensable.

Il faut faire un effort pour insuffler un peu de vie dans l'Opposition allemande. Maintenant précisément nous avons trois facteurs favorables: la Chine (l'unification des trois groupes, la formation d'une organisation relativement forte, la publication d'une étude scientifique sérieuse de Chen Duxiu), les Etats-Unis ( le passage à l'hebdomadaire, la publication d'une série de brochures et de La Révolution permanente sur notre propre presse à imprimer), l'Espagne (la conférence et le développement évident de notre influence dans les différentes parties du pays). Ces trois faits peuvent et doivent être opposés aux bavardages et aux radoteurs. Raymond écrit avec enthousiasme à propos d'une réunion d'ouvriers qu'il a organisée sur la révolution espagnole: ils étaient 200 environ, les membres de la Ligue n'étaient qu'un petit pourcentage. Treint et Raymond ont parlé. On est en train de préparer plus de réunions sur d'autres thèmes.

Je pense que l'organisation de Berlin doit se concentrer sur cette question dans l'avenir immédiat. Elle est trop faible pour se proposer différentes sortes de tâches et surtout pour intervenir dans la lutte ouvrière courante. Dans la première période, il lui faut se concentrer sur une seule question, frapper sur un point unique. La vente des brochures (à propos, la traduction est excellente) doit devenir une action politique. Les meetings de masse du parti vont être dispersés, il y aura quelque part des raclées. L'opinion publique dans le parti doit être préparée, au moins en partie, par un petit tract de 30 à 50 lignes. Le sens est plus ou moins celui-ci: communistes - vous êtes nos amis. Nous, l'Opposition de gauche, vous posons la question: avez-vous pensé au sort de la révolution espagnole ? Elle est menacée de graves dangers. La révolution allemande a été détruite en 1923 par une direction qui mentait. La révolution chinoise a été vouée à la défaite par la politique fausse des dirigeants de l'I.C. C'est maintenant le tour de la révolution espagnole. Nous vous mettons en garde. Il n'est pas douteux que le destin du prolétariat espagnol et celui de la révolution espagnole vous est aussi cher qu'il l'est pour nous. Mais on vous a donné ordre de croire que toute directive qui vient d'en-haut est inébranlable, sacro-sainte, infaillible. Une telle croyance est indigne d'un révolutionnaire. Lénine enseignait: "En politique, celui qui croit sur parole est un imbécile sans espoir". Il faut réfléchir, étudier, expérimenter, clarifier les raisons des fautes passées pour éviter d'en faire à l'avenir. Notre organisation a publié la brochure de Trotsky sur les dangers qui menacent la révolution espagnole. L'avez-vous lue ? Il vous faut la lire pour comparer les idées qui y sont exprimées avec les idées officielles. Ce dont il s'agit, c'est de la vie et de la mort de la révolution espagnole. Il va sans dire que vous n'êtes pas obligés de croire Trotsky ou nous sur parole. Nous n'exigeons pas cela de vous. Mais ne vous laissez pas aveugler. Lisez, réfléchissez, comparez. En tout cas, nous faisons notre devoir à votre égard. Nous vous prévenons parce que nous voyons en vous des frères d'armes dans la lutte pour la révolution prolétarienne. Puis le nom de l'organisation. On peut sortir plusieurs milliers d'exemplaires de ces tracts, les envoyer par la poste, les distribuer, les mettre dans les poches des gens, etc. Sur le dos du tract on peut donner une liste des publications de l'Opposition de gauche allemande. Mais le tract ne devrait pas avoir le caractère de déclaration, et encore moins l'air d'une déclaration, ce doit être une lettre. En fait, il vaut la peine de se concentrer sur ce travail dans les deux ou trois semaines à venir, en travaillant si bien que les gens en soient assourdis et qu'on puisse additionner les résultats. Je dis tirez en quelques milliers. Il aurait été plus juste de dire quelques dizaines de milliers. Mais il faut calculer tout cela plume à la main, combien peuvent être diffusés, où et quand.

Maintenant il te faut sans faute prendre contact avec Nin. Tu dois presser les camarades allemands de faire cela aussi : lui demander des matériaux, un reportage.

Je ne suis pas entièrement satisfait du comportement au des sentiments de Mill. J'ai peur d'avoir été trop doux en réduisant mes reproches à zéro. Il en a évidemment tiré la conclusion que ces reproches étaient au fond injustes, ce avec quoi je ne suis pas du tout d'accord. Il ne s'agit pas bien sûr de cela, mais de son aspiration à quelque sorte de ligne indépendante dans les affaires françaises et cela veut dire qu'une fois de plus il travaille pour Naville et Feroci sans le vouloir. Il faut graver cela dans son esprit quand on lui écrit pour toutes les autres mesures. Raymond et Frank restent encore les axes de l'organisation. Nous pouvons compter avec assurance là-dessus. Treint va venir ici en septembre. On verra.

De ce que je viens de dire, il ne faut pas conclure que j'identifie Naville et Feroci. Non. Il se peut que dans les affaires françaises, Feroci continue également à soutenir Naville, mais ce n'est pas le cas dans le domaine international. Sur nombre de questions internationales les plus importantes, Feroci a pris une position tout à fait honnête. Maintenant ils sont en train de publier ma brochure sur l'Espagne en italien et ils s'engagent ainsi dans une lutte ouverte avec les bordiguistes. Comme la Ligue américaine a pris une position très ferme dans la question internationale, tout cela conjugué doit avoir pour conséquence une rupture entre Feroci et Naville. Tu dois garder cela à l'esprit dans tes relations officielles et personnelles avec Feroci. A propos, as-tu commencé la correspondance avec lui ?

Comment va Ie Biulleten russe ? Quels sont les plans d'avenir ? Comment s'est vendu le dernier numéro ? Y a-t-il eu des réactions ?

P.S. Malgré tout, il y a un nombre inhabituel de fautes d'impression dans le premier volume. Il y a aussi des mots oubliée et des phrases déformées. Il faut beaucoup d'efforts pour les épreuves, il faut les relire deux, trois, quatre fois pour avoir les résultats voulus.

Il y a aussi mes propres erreurs. Ainsi par exemple, quand est mentionné "le gouverneur américain Morris", lequel n'était pas un gouverneur, mais un diplomate, et "Gouverneur" était son prénom. L'essentiel étant que je l'avais su, que j'ai même su que quelqu'un s'est laissé prendre dans une traduction, qu'au moment d'écrire ma mémoire m'a trahi et je n'avais pas à portée de la main de livre de référence. Il n'y a aucune raison de douter que des critiques sycophantes vont s'emparer de cette bévue avec passion. Mais il faut bien leur donner à eux aussi quelque nourriture, par humanitarisme. Dans le second volume, en tout cas, il nous faudra ajouter une liste de fautes d'impression et d'erreurs du premier volume.

A propos, demande à Petropolis s'ils jugent qu'il serait bon de donner un index des noms et des questions pour les deux volumes à la fin du second ? Fischer veut le faire. Un index allemand pourrait servir de base à un index russe. Du fait de l'alphabet, il faudra évidemment complètement réarranger l'index allemand. Bien entendu, nous pouvons établir un index russe de façon indépendante. Mais qui va le faire ? Et Petropolis va-t-il accepter de payer ce travail ?

Un fait curieux : j'ai reçu hier une lettre de l'éditeur de la revue américaine Saturday qui publie l'Histoire numéro après numéro. A la demande de Boni, l'éditeur m'a envoyé les trois dernières séries d'épreuves avec mes articles. En liaison avec cela, il écrit: "Vous allez sans doute être intéressé d'apprendre que la demande pour les anciens numéros de la revue contenant vos articles est si forte qu'il nous a été très difficile de la satisfaire". C'est d'autant plus curieux que cette publication est diffusée à trois millions semble-t-il : c'est l'hebdomadaire le plus lu en Amérique.