Lettre à Léon Sedov, 22 mars 1936

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De quoi désespérer

Cher Ami[1] ,

Dans l'affaire Péro[2] , je vous ai répondu non par télégramme. Je n'ai ni le temps ni le désir de reprendre avec Péro tout ce que j'ai déjà étudié avec Fred Zeller. Pendant dix jours nous avons discuté à fond de tous les problèmes. J'ai tenté de lui expliquer que la plus grande difficulté pour les jeunes sera la question du « trotskysme », car on agitera sans cesse ce fantôme sous leurs yeux. Aussi est‑il nécessaire d'armer les jeunes de connaissances élémentaires précisément sur cette question. J'ai rédigé un article spécial assez long sur la question de savoir pourquoi Staline l'a emporté, etc[3] . Fred a tout compris. Mais à Paris, on a tout mis en l'air. L'article n'a pas été publié[4] et nul n'a daigné m'envoyer quelques mots d'explication à ce sujet. On cherche toujours la ligne de moindre résistance. A présent, on récolte ce qu'on a semé. Je suis en correspondance avec plusieurs pays, mais ma correspondance la plus improductive est celle avec Paris. Si l'on songe à mon échange de lettres de l'année dernière avec le comité central français et le secrétariat international sur la question française, il y a vraiment de quoi désespérer. Non, une fois que les négociations auront été mises en train, je laisserai les français et notre cher secrétariat international se débrouiller tout seuls : on ne peut donner de conseils avec quelque succès qu'à des gens qui en comprennent la valeur ou leur accordent au moins I'attention nécessaire et s'efforcent de les comprendre. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Légèreté et négligence dominent dans cette affaire. Les dernières histoires de la seconde lettre de Cannon et de ma lettre aux partisans de La Commune m'ont définitivement ôté toute envie de poursuivre ma correspondance avec Paris.

  1. Durand était à l'époque le pseudonyme de Léon Sedov.
  2. L'étudiant en chirurgie dentaire Gottlieb dit Péro d'origine roumaine, avait rejoint la Ligue communiste avant 1933 à Marseille. Il était venu à Paris depuis et était l'un des dirigeants des J.S.R. où il se distinguait par son goût pour les questions d'édition et ses ambitions « littéraires » : il était déjà suspect pour certains. Il avait cherché à être invité quelques jours chez Trotsky à Hǿnefoss par l'intermédiaire de Sedov.
  3. Cf. l'article : « Pourquoi Staline a vaincu l'Opposition. »
  4. Cet article, rédigé le 12 novembre 1935 et aussitôt traduit ne devait être publié par La Lutte ouvrière, qui avait alors succédé à La Vérité, que... le 22 août 1936.