Lettre à Léon Sedov, 12 janvier 1932

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche



Mon cher Ljova,

Tes explications aussi bien que l'opinion du docteur concernant Zina me semblent tout à fait erronées. S'il s'agit du fait qu'elle se comporte "mal" quand elle est en crise[1] et qu'après en être sortie elle réalise ce qui s'est passé, qu'est-ce qui peut bien lui peser ? On ne peut sûrement pas la blâmer pour des actions accomplies dans un état de semi-délire.

Ce par quoi elle est écrasée, ce n’est pas la question de ses relations personnelles avec moi, Maman et toi, mais la question de son voyage en U.R.S.S., la nécessité pour elle de cesser d'être malade, de perdre le droit d'exiger des gens une attention spéciale et de répondre par des lubies ou des caprices, selon son état d'esprit. C’est exactement en cela que réside son mal, c'est là toute l'affaire. Le diagnostic des docteurs a été pour elle un coup: qu’elle se portait bien et devait revenir au travail. Comme toujours elle a cherché le soutien d'une personne contre les autres. Elle […] que les docteurs, effrayés par ses conditions "anormales" la soutiendraient contre moi; puis elle comptait que je la soutiendrais contre les docteurs (C'est ce qui était mis en train par le recommencement de sa correspondance avec moi. Ma lettre à toi - pour elle – lui a montré que J'étais en plein accord avec les docteurs et qu’il ne lui restait qu'à retourner à une vie normale de travail). C’est ce qui définit son état d’esprit et ce qui l'a obligée à une nouvelle tentative pour obliger les gens à la considérer comme malade. Tu écris: ce n'est pas une simulation et Mayo dit la même chose. Dans sa condition en général il est difficile de déterminer quand un jeu tragique se transforme en tragique réalité (on ne doit pas oublier qu’elle a beaucoup observé dans toutes sortes de maisons de repos, etc.).

Ma lettre (sur laquelle tu insistais) ne peut l'intéresser qu'à un égard : si je donne mon accord pour qu'elle vive à l'étranger (et nous garde tous dans une constante terreur). Tout le reste ne peut être distingué d’elle. Mais aller au devant d'elle eu égard à ce qu'elle veut réellement signifie de façon générale abandonner tout espoir de revenir à une situation normale, de retrouver l'équilibre indispensable, etc. Et toute l'affaire se terminera certainement par une hospitalisation obligatoire.

A mon avis, l'unique plan d'action doit être celui-ci : établir un conseil de trois médecins en invitant un psychiatre supplémentaire. Expliquer d’avance aux docteurs le contexte et l'essence de sa maladie. Tu dois commencer d’abord par Mayo, qui glisse à la surface. Le conseil n'a de sens que si les docteurs comprennent ce qui est l'essence et ce que sont les facteurs secondaires. Si néanmoins les docteurs en toute connaissance de cause, confirment qu'elle doit rester à l'étranger, alors naturellement nous n'aurons qu'à nous soumettre. Mais s'ils soutiennent la vielle conclusion ( que l'unique salut consiste à revenir à une vie normale de travail) alors il faudra que cette décision se réalise dans le délai le plus bref.

Sa psychologie doit être maintenant la suivante : elle considère qu'elle a eu et le docteur et toi, et que tu vas pouvoir m'influencer sur cette ligne. Tout commence à se séparer du commencement. Aussi chaque fois qu'elle a recours à des moyens de plus en plus puissants (larmes, scènes, toux, demi-délire, tentative de suicide) il y a incontestablement danger qu'elle ne prenne une initiative fatale. Ce n'est pas exclu (même si ce n'est pas très vraisemblable) Mais ce n'est qu'un peu exclu si elle reste à l’extérieur. Une concession là-dessus lui suggérera qu'elle a entre les mains un "moyen sûr" Là aussi elle m’a déjà menacé sous une formé voilée (quand, la regardant droit dans les yeux, j’ai pris la défense de maman contre ses accusations).

Ce dont il s’agit, ce n'est naturellement pas de ce conseil en soi : si on peut s'en dispenser, tant mieux. Je le propose comme une mesure supplémentaire pour faire un bilan définitif et sous la forme la plus douce, la plus " médicale " l'obliger à réaliser qu'elle n'a pas le choix, qu'elle doit revenir à une situation normale. Je ne vois nulle autre issue. Désolé pour toi et pour Jeanne - "tant" d'exagérations " supplémentaires ".

  1. La fille de Trotsky, Zina, était atteinte de graves troubles nerveux. Elle allait se suicider quelques mois plus tard.