Lettre à Lénine, 16 juillet 1919

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Cher camarade Lénine,

Je ne cesse de souhaiter une conversation avec vous. Je vois notre mouvement ouvrier anglais ruiné par le parlementarisme et par les conseils municipaux. Des gens veulent être élus. Le plus grand nombre veut élire, et tout travail pour le socialisme est à cette fin remis ; on étouffe la propagande socialiste de peur de perdre des votes. Et les élus gonflés de leur importance ont la plus grande indulgence pour les abus du système capitaliste.

Je sais qu'il est impossible de réveiller l'esprit révolutionnaire chez des gens qui veulent gagner aux élections — tout au moins dans ce pays. La conscience de classe semble disparaître à mesure que s'approchent les élections. Un parti qui obtient des succès électoraux est un parti perdu pour l'action révolutionnaire. Dans ce pays, nous avons, comme vous savez :

  1. Le vieux parti trade-unioniste, qui n'a ni largeur de vue, ni l'idéalisme et n'est pas socialiste ;
  2. L'Independent Labour Party souvent bourgeois, souvent ultra-religieux ;
  3. Le British Socialist Party qui se croit plus avancé que' l'I. L. P. mais qui souvent, vaut moins du point de vue du communiste. Ces deux partis pensent trop à gagner aux élections et quand ils y ont obtenu des succès, ils abandonnent presque toujours les ouvriers.
  4. Les industrialistes révolutionnaires, croyant en l'action directe, — élément qui permet les plus grandes espérances ; il y a parmi eux des hommes remarquables, possédant cette inflexibilité qui sera essentielle quand surviendra la révolution, — mais qui quoique manquant souvent de capacité organisatrice en dehors de leur propre sphère d'action, ont cependant de grands esprits et du cœur.

Tous ces éléments ont subi à différents degrés l'influence de la révolution russe. Les officiels du groupe 1 sont alarmés et certains de leurs adhérents ont passé au groupe 4. Au 2, les leaders sont pour le moins choqués et alarmés, certains de leurs adhérents se rapprochent du 4. Au 3 les uns sont timides, les autres se rapprochent du 4. Ce dernier groupe 4 a longtemps chéri l'idée d'organiser la société selon les principes des Soviets, avant même de connaître les Soviets. Il est fortifié par les nouvelles de Russie. Il est surtout composé de simples ouvriers, mineurs ou mécaniciens, quoique ce type apparaisse maintenant dans toutes les industries.

Ce groupe 4 méprise l'action parlementaire : jamais il ne s'alliera à un parti présentant des candidats pour les élections parlementaires ou locales. Les Workers' Committees et les Shop Stewards doivent être unis à ce groupe 4, quoi qu'ils soient souvent moins avancés.

  • Il y a aussi le Socialist Labour Party (5), plutôt anti-parlementaire, mais qui, lors des dernières élections, présenta des candidats, perdant ainsi largement la confiance du 4 qui fournissait un grand nombre de ses membres.
  • 6. La Workers Socialist Federation, plus petite et plus jeune que les autres, composée en grande partie de femmes, ce qui marque son origine, bien que la plupart de ses nouveaux membres soient des homme ; c'est surtout, plus que les autres, le parti du petit peuple, travaillant aux coins des rues et ayant son quartier général dans l'East-End. A sa conférence de Whitsuntide[1] il s'est transformé en parti communiste, mais à la demande du camarade R... et de quelques autres, il s'abstient d'user de ce titre tant que tous les efforts n'ont pas été faits pour former un parti communiste unique en fondant les groupes 3, 5, 6 et 7, ce dernier étant la société socialiste du pays de Galles étroitement en harmonie avec le 4. On nous dit que le 4 ne peut pas entrer dans le parti communiste, quoique ses membres puissent y adhérer. Je ne suis pas si certaine que ces groupes ne puissent fusionner.

Mais pourquoi vous écrire tout ceci ? Pour dire qu'à mon avis la question parlementaire met tout en retard. Le 3 et 5 veulent encore présenter des candidats, ce qui déconcerte les éléments 4, 6 et 7.

Je doute que vous conceviez combien dans ce pays la conscience de classe est une plante plus tendre que partout ailleurs et combien les intrigues politiques sont plus fortes et plus subtiles.

Je souhaite que vous parliez de l'action parlementaire. J'ai lu la lettre que vous ont adressée les communistes finlandais. Ce message est nécessaire ici aussi. Je souhaite que vous nous écriviez de manière à hâter nos progrès hors du réformisme. Ce que vous dites fait beaucoup réfléchir les hommes, ceux du moins qui veulent réellement la révolution. Je pense que si vous étiez ici vous diriez : Concentrez les forces sur l'action directe révolutionnaire. Ne touchez pas à la machine politique. Telle est ma pensée. Je crois qu'il n'y a pas de pays où !a machine politique soit pour les ouvriers aussi difficile à diriger et soit aussi bien construite pour les circonvenir

Sincèrement à vous.

Sylvia PANKHURST.

P.-S. — Je tiens à vous faire connaître que la masse des ouvriers d'industrie, dans des proportions de plus en plus sensibles, veut réellement la révolution et n'a besoin que d'être guidée pour l'organiser. Mais nous sommes lents et combien le monde ne doit-il pas à la Russie ! Si vous dites que les conditions déterminantes ont produit le résultat, certes c'est vrai ; mais votre claire exposition de ce fait ouvre une nouvelle perspective, et nous comprenons en vous lisant qu'une longue propagande a, en Russie, préparé le peuple à tirer parti de ces conditions.

Si nous pouvions seulement unir tous ceux qui croient à la révolution et les faire travailler pour elle au lieu de s'occuper d'élections ! Outre la propagande, il y a l'organisation, et nous sommes à présent des enfants dans une forêt inconnue ou dans une contrée inexplorée. Nous devons explorer chaque région en nous demandant comment nous nous rendrons compte du mouvement favorable. Nous nous y efforcerons, mais vous pourriez concentrer plus de forces dans cette direction si par un discours ou par un article — ce message nous touchera — vous vouliez bien nous conseiller. Quant à la propagande, oh l'on dira : nous ne suscitons pas de conflit ; c'est le gouvernement qui le provoque. Comme si c'était une honte de créer des ennuis au capitalisme !

  1. Pentecôte.