Lettre à Kurt Landau, 2 octobre 1930

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Cher camarade Landau,

1 . Bien sûr, je n'ai pas d'objection à la publication de ma lettre dans le Kommunist. Mais la question des thèses sur "Le tournant de l'I.C. et la situation en Allemagne" est beaucoup plus importante. J'envoie en même temps aux camarades Müller et Well un complément à ces thèses, qui, en l'occurrence, me semble assez important. Je regrette beaucoup de devoir faire cela à la dernière minute. L'aspect organisationnel de la conférence n'était pas des meilleurs. Dès l'abord, il me parut problématique que l'on ait fixé la conférence à huit jours après les élections, c'est-à-dire qu'on ne se soit pas donné le temps d'en tirer les enseignements nécessaires. Puis le report de la conférence a été annoncé au dernier moment. J'ai reçu l'ordre du jour, pour lequel je vous remercie en tout cas, avec votre lettre du 24, c'est-à-dire à un moment où je n'ai plus guère le temps de m'exprimer à ce sujet. Je ne mentionne tout cela que pour montrer à nouveau avec insistance à quel point les organisations de l'Opposition manquent de capacités organisationnelles et combien il faut tenir en haute estime les éléments qui, le terrain des principes étant bien sûr respecté, concentrent leur attention et leur énergie sur les questions pratiques et organisationnelles plutôt que dans le domaine littéraire et journalistique.

2 . Dans votre avant-dernière lettre, vous avez évoqué les affaires françaises et pris position sur les divergences qui s'y font jour, en regrettant que ces divergences aient ôté au camarade Rosmer l'envie de faire du bon travail. Certes les phénomènes qui accompagnent toujours les divergences et les luttes fractionnelles sont assez déplaisants et je suis le premier à tout mettre en œuvre pour alléger la lourde tâche de mon vieil ami Rosmer. Mais je ne peux toutefois être d'accord avec ce critère et cette façon de poser le problème. J'insiste là-dessus, car le camarade Naville est nettement enclin à donner aux questions en suspens cette forme purement personnelle et à exacerber cet aspect personnel. Cela ne peut en aucun cas rendre plus facile la situation du camarade Rosmer, au contraire, et encore moins contribuer à clarifier les problèmes.

La seule possibilité d'assurer à l'avenir l'envie de faire du bon travail réside dans une position correcte sur les questions politiques théoriques et pratiques. Cette année, j'ai eu avec le camarade Naville, dont j'estime beaucoup les qualités et dont j'apprécie beaucoup la collaboration, des divergences très importantes sur presque toutes les questions, et je me suis toujours efforcé de les régler à travers une correspondance amicale, et non sans succès. Ma circulaire numéro 1 exprimait pour une bonne part, sous une forme impersonnelle et généralisée, mes désaccords avec le camarade Naville (et pas seulement avec lui, bien sûr). Je suis loin de penser que l'autre groupe ne puisse rien nous apporter et soit "nuisible au parti". Au contraire. Si les camarades de ce groupe, qui ne sont pas des théoriciens et n'ont pas la prétention de l'être, n'ont toujours pas donné à leurs opinions, propositions et suggestions une forme approprié, il reste qu'ils ont toujours ou presque toujours soulevé une question importante et relevé à juste titre les faiblesses et les lacunes du groupe Naville, Gérard et autres (sur la question du tournant du parti français, par exemple, je trouve le point de vue développé dans le document du groupe juif et du camarade Frank nettement meilleur que la position de la rédaction et du document officiel de la Commission Exécutive).

Le conflit entre les deux tendances est dû à une croissance de l'influence par laquelle l'idée, prenant corps, n'est plus en mesure de diriger de façon aussi absolutiste (ni parfois même de bondir de part et d'autre avec autant d'insouciance); elle cherche donc à mettre le corps en pièces pour reconquérir son ancienne liberté dans la salle de rédaction). Jusqu'à présent, je ne suis pas parvenu à attirer l'attention du camarade Naville sur ce point essentiel. La divergence française est peu à peu internationalisée. Pas seulement par le camarade Naville, bien sûr, mais par les deux parties en présence, comme c'est inévitable dans des affaires de cette nature. Aujourd'hui encore, je tente d'enlever à cette querelle de tendances son aspect personnel, mais il est à craindre qu'une discussion internationale des questions en litige ne puisse être évitée. Dans ce cas, ce serait notre devoir à tous de tout faire pour réduire la discussion à sa dimension de principes et de préserver la capacité de fonctionnement de la Ligue. Puisque vous représentez l'organisation allemande au Secrétariat International et que vous êtes informé par le camarade Naville, je pense qu'il est opportun de vous donner ici mon point de vue sur cette question.

3 . J'ai une proposition à soumettre dans cet ordre d'idées. Si le camarade Naville vient à la conférence, il me semble absolument nécessaire que l'Opposition allemande demande à être informée des divergences, dans le cadre d'une commission. Le mieux serait que le camarade Naville rédige son point de vue sur les divergences sous forme de thèses. Bien sûr, il faut considérer comme exclu que la commission et encore moins la conférence puisse prendre sur-le-champ une décision quelconque. Il s'agit seulement d'information, c'est-à-dire de la préparation partielle de la résolution future, afin que l'organisation comme telle, et pas seulement quelques camarades isolés, puisse intervenir.

4 . Dans le n°9 du Kommunist vous écrivez: "Le bureau international élu à la conférence d'avril comprend un secrétaire russe, un Français et un Allemand et travaille sous la direction des camarades A.Rosmer et P.Naville. Le camarade Rosmer, président du Bureau International..." Comme personne ne connaît les véritables décisions de la conférence d'avril, comme elles n'ont été publiées nulle part, comme votre information ne correspond pas à celles de l'organe français et du Bulletin International qui d'ailleurs se contredisent l'un l'autre, je vous prie de me faire savoir par retour du courrier si vous disposez des résolutions originales et sur quoi vous appuyez vos formulations, car vous comprendrez que, dans des domaines aussi importants, on ne puisse tolérer la moindre ambiguïté ou la moindre négligence.