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Lettre à Karl Kautsky, 3 octobre 1901
Cher Karl,
Il va de soi que je renonce à la publication de ma déclaration dans la Neue Zeit. Mais permettez-moi d’ajouter quelques mots d’explication.
Si j’étais de ceux qui défendent leurs droits et leurs intérêts sans tenir compte de rien — et ceux-là sunt legio [sont légion] dans notre parti, ou, pour mieux dire ; tout le monde chez nous est comme ça — alors j’insisterais naturellement pour que ma déclaration soit publiée : n’avouez-vous pas vous-même que dans ce cas, en votre qualité de rédacteur en chef, vous avez une obligation envers moi ? Mais tout en reconnaissant cette obligation, l’ami braque sur ma poitrine le pistolet de ses admonestations et de ses prières pour que je ne fasse pas usage de mon droit et ne vous force pas à remplir cette obligation. Or je répugne à faire valoir mes droits quand on ne veut me les reconnaître qu’avec tant de gémissements et de claquements de dents, quand on ne se borne pas à retenir mon bras à chaque mot que j’écris pour ma défense, à me demander de ne pas me défendre « comme ça », mais qu’on essaie encore de me faire échec par tous les moyens, afin de m’inciter à renoncer à mon droit. Vous avez atteint le but recherché : je vous délie, dans ce cas, de l’obligation que vous aviez envers moi. Mais à ce qu’il semble vous commettez ce faisant encore une erreur: vous croyez tout de bon n’avoir agi en l'occurrence que par amitié pour moi et dans mon intérêt. Permettez-moi de dissiper cette auto-illusion. Votre amitié aurait dû vous amener à me tenir à peu près ce langage : « Je vous conseille absolument et à n’importe quel prix d’intervenir pour défendre votre honneur de publiciste, car des écrivains plus grands que vous et dont le renom était consacré de longue date, tels Marx et Engels, n’ont pas hésité à écrire des brochures, à mener une véritable guerre, chaque fois que quelqu’un osait leur reprocher la moindre « falsification ». Vous devez, dans votre cas, être d’autant plus pointilleuse dans votre exigence de justice que vous êtes jeune et très attaquée. » Voilà ce que, en qualité d’ami, vous auriez certainement dû me dire.
Mais l’ami a tout à fait cédé le pas au rédacteur en chef de la Neue Zeit et celui-ci, depuis le Congrès, n’a qu’un souci : avoir la paix, montrer qu’après la volée qu’elle a reçue la Neue Zeit est devenue bien sage et la boucle. Voilà pourquoi on peut bien sacrifier le bon droit d’un collaborateur de la Neue Zeit, son droit de sauvegarder ses intérêts les plus importants, le droit de se défendre contre des calomnies politiques. Un collaborateur de la Neue Zeit — et non de ceux qui travaillent le moins ni le plus mal pour la revue — peut donc être accusé publiquement de faux, et avaler ça, simplement afin que « sur toutes les cimes règne la paix ».
Voilà ce qui en est exactement, cher ami !
Et sur ce, bien cordialement vôtre.
Rosa
J’ai du travail par-dessus la tête. Voilà pourquoi j’ai dû écrire et n’ai pas pu le faire plus tôt.