Lettre à Joseph Hansen, 24 mars 1939

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Littérature et Journalisme

Mon cher Joe,

J’ai reçu votre lettre « histoire 3 » du 19 mars et aujourd’hui nous avons reçu le mot gentil de Reba. J’ai été presque effrayé par « l’aspect sombre » de votre passé. Être romancier — terrible et vivement condamné par les Statuts de la IVe Internationale! Toute plaisanterie mise à part cependant, je ne suis pas du tout certain que les responsables de la maison d’édition Simon & Schuster ne font pas la distinction entre Staline et Trotsky. Cette maison d’édition, avec laquelle j’avais des liens auparavant, reçoit quelques privilèges de Moscou et du parti communiste américain. C’est une règle générale en Allemagne (autrefois), en France, en Angleterre, et, maintenant, je crois, aux États-Unis. Par exemple, Simon & Schuster étaient tout à fait « enthousiasmés » par mes livres mais ils ont brutalement changé d’attitude et ont refusé d’accepter La Révolution trahie.

Mais ce n’est pas la question décisive. Nous avons nos propres maisons d’édition et elles grandiront. La tâche qui est devant nous est de combiner les inclinations personnelles et les capacités de chacun avec les intérêts de notre mouvement. Par exemple, je suis sûr que vous pourriez aider à donner un caractère plus vivant au Socialist Appeal en y introduisant des descriptions plus concrètes de la vie et de la lutte des travailleurs. A mon avis, une page entière du Socialist Appeal devrait être consacrée à de tels exposés venant de correspondants ouvriers ou de la rédaction elle-même, surtout de la partie de la rédaction liée aux correspondants ouvriers, qui les inspire et les dirige.

Du point de vue du journalisme marxiste, le Socialist Appeal est un excellent journal, mais il est loin d’être un authentique journal ouvrier. Il ne montre que trop clairement les traits de ses origines en tant qu’instrument d’une société de propagande marxiste. Il faut maintenant changer son caractère de deux façons : (a) sans refuser de publier des articles politiques et théoriques destinés aux éléments plus qualifiés, il faut introduire d’autres articles, très simples et clairs, destinés à tout un chacun, (b) en introduisant une page dans laquelle les ouvriers d’usine peuvent se sentir tout à fait chez eux (on pourrait inclure ici la description du régime interne de l’usine, les rapports entre les différentes fractions d’ouvriers, leurs intérêts, conflits avec l’administration, en donnant une attention particulière aux femmes et aux jeunes, la description de la vie quotidienne des chômeurs abandonnés et misérables. Dans ce but aussi on pourrait utiliser avec beaucoup de succès les comptes-rendus de la grande presse sur le crime. Nous devrions même avoir notre reporter pour les tribunaux où on juge les délits quotidiens très simples, banals, et ainsi de suite). Cette page présuppose un lien très étroit avec les ouvriers, et pas seulement les membres du parti. Pour vous personnellement, comme romancier prolétarien, la participation active dans un tel travail serait une école d’une valeur inestimable — mille fois plus importante que l’opinion ou la critique d’éditeurs bourgeois.

Si vous trouvez ces suggestions de quelque intérêt, je vous prie de consulter à leur sujet le camarade Shachtman et les autres membres de l’équipe.