Lettre à Joseph Hansen, 10 janvier 1940

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Quelques compléments

Cher ami,

Dans l’article que j’ai envoyé à Wright pour traduction, il y a deux questions que je ne mentionne pas du tout :

— D’abord celle du conservatisme bureaucratique. Je crois que nous avons un peu discuté ce sujet ensemble ici. En tant que tendance politique, le conservatisme bureaucratique représente les intérêts d’une certaine couche sociale, à savoir la bureaucratie ouvrière privilégiée dans les États capitalistes (et spécialement impérialistes) et, à un degré incomparablement plus élevé, en U.R.S.S. Il serait fantastique, pour ne pas dire stupide, de chercher de telles racines au « conservatisme bureaucratique » de la majorité. Si le conservatisme et le bureaucratisme ne sont pas déterminés par les conditions sociales, ils ne représentent alors que des traits de caractère propres à certains dirigeants. De telles choses arrivent. Mais comment, dans ce cas, expliquer la formation d’une fraction ? S’agit-il d’une sélection d’individualités conservatrices? C’est là une explication psychologique, pas politique. Si nous admettons — personnellement, je ne l’admets pas — que Cannon, par exemple, a des tendances bureaucratiques, nous en arrivons alors inévitablement à la conclusion que la majorité soutient Cannon en dépit de cette caractéristique et non à cause d’elle. Cela signifie que les dirigeants de la minorité n’effleurent même pas la question des bases sociales de la lutte de tendances.

— En second lieu, dans le but de compromettre ma « défense » de Cannon, les minoritaires affirment que j’ai défendu Molinier à tort. Je suis le dernier à nier que je puisse commettre des erreurs, dans le domaine politique comme dans l’appréciation des hommes. Malgré tout, l’argument n’est guère profond. Je n’ai jamais soutenu les théories fausses de Molinier. Il s’agissait à vrai dire de son caractère personnel : brutalité, indiscipline, pour ne pas parler de ses affaires financières privées. Quelques camarades, dont Vereeken, réclamaient avec insistance que nous nous séparions de Molinier. J’insistais sur la nécessité pour l’organisation d’essayer de le discipliner. Mais, quand Molinier, en 1934, essaya de remplacer le programme du parti par « quatre mots d’ordre » et fonda un journal sur cette base, je fus de ceux qui proposèrent son exclusion. Voilà toute l’histoire.

Tout un chacun peut avoir une autre opinion quant à l’opportunité de ma patience à l’égard de Molinier. Je n’étais toutefois pas guidé, bien sûr, par le souci de l’intérêt personnel de Molinier, mais par celui de l’éducation du parti. Nos propres sections ont hérité d’un peu du venin de l’Internationale communiste en ce sens que nombre de camarades ont tendance à abuser de mesures comme l’exclusion, la scission, ou les menaces d’exclusion ou de scission. Dans le cas de Molinier comme dans celui de plusieurs camarades américains (Field, Weisbord et autres), j’étais partisan d’une attitude plus patiente. Dans quelques cas j’ai réussi, dans d’autres, ce fut un échec. Mais je ne regrette absolument pas d’avoir manifesté plus de patience à l’égard de quelques personnages douteux de notre mouvement. De toute façon, le fait de les défendre ne m’a jamais conduit à former un bloc aux dépens des principes. Si quelqu’un proposait, par exemple, d’exclure le camarade Burnham, je m’y opposerais énergiquement. Mais je considère en même temps qu’il faut mener le combat idéologique le plus vigoureux contre ses conceptions antimarxistes.