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Special pages :
Lettre à Jan Frankel, 27 mars 1939
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 27 mars 1939 |
Problèmes financiers
Cher Ami,
Je vous ai envoyé une copie de ma lettre à Goldman concernant les archives. Je ne sais pas si Goldman est maintenant à New York ou ailleurs, mais en tout cas ce serait bien que vous preniez contact avec lui sur cette question qui est en train de devenir très pressante.
Mon travail russe a été désorganisé pendant longtemps. Dans le meilleur des cas, je crois que la dactylo reviendra au début mai. Ma main droite ne me permet pas d’écrire moi-même et il me faut attendre patiemment la dactylo. La solution véritable ne peut provenir que de la vente des archives.
On pourrait vendre à un prix peu élevé la première partie des archives à condition que la somme puisse être payée immédiatement. Nous changeons de maison et cela constitue une grosse dépense. Autant que je sache, Natalia a « exproprié » presque tous les camarades de notre maison dans cet objectif. J’irais même jusqu’à vendre la partie russe pour 3.000 dollars, ce qu’ils proposaient, si, pendant une année, contre 4.000 dollars de moi, ils pouvaient me la rendre.
Je vous prie de consulter Goldman et d’agir avec vigueur.
Bilan de la Rupture avec Diego
Cher Ami,
Vous gardez le silence comme auparavant. Mauvais signe !
Vous connaissez les ennuis que nous avons ici avec le peintre et vous n’en êtes pas étonnés car vous nous avez souvent prévenus au sujet de ses idées politiques fantastiques. Pendant longtemps, un an et demi environ, je pense, il a essayé de s’imposer une certaine discipline ; mais aux environs du congrès international, il est devenu mécontent et inquiet. Je vais vous donner quelques exemples de ses préoccupations, pour que vous puissiez les communiquer à nos autres amis.
Toutes les décisions prises ici concernant la section mexicaine l’ont été avec l’accord complet du peintre et l’idée de ne pas l’exposer à d’incessantes attaques (vous savez que l’organisation l’a condamné à l’unanimité — et que personne n’a pris sa défense) ; mais une fois les décisions prises et ratifiées par la conférence, il s’est aperçu qu’on ne l’avait pas suffisamment défendu. Il était extrêmement mécontent des décisions prises, exagérant terriblement quelques formulations malheureuses. Mais cela ne suffisait pas : il a affirmé que Socialist Appeal avait délibérément publié la décision sur Molinier et la décision sur lui de façon symétrique afin de les identifier.
Il exigeait l’exclusion immédiate de tous les membres de l’organisation qui avaient lancé des accusations contre lui. Il exigeait mon intervention en ce sens et j’ai eu à ce sujet avec lui une discussion inoubliable. Il me demandait d’exclure immédiatement Galicia. « Comment puis-je le faire ? » ai-je dit au comble de l’étonnement. « Mais vous êtes le chef! ». « Vous avez une conception extraordinaire de ce qu’on appelle la direction, cher ami », ai-je répondu, « c’est un peu comme le stalinisme ». « Oui », répondit-il avec la puérilité qui le caractérise, « ils disent que je suis pire que les staliniens ». Mais il revint sur cette question très souvent, particulièrement après l’arrivée du camarade Curtiss.
Vous savez probablement que c’est le peintre lui-même qui avait proposé sa candidature et qu’il m’avait présenté ce camarade de façon très élogieuse. J’ai interrogé Galicia à ce sujet, et il m’a confirmé cette appréciation. On a donc été d’accord pour que le camarade Curtiss vienne travailler ici en tant que représentant. Mais Curtiss ne pouvait travailler autrement que sur la base de la décision de la conférence et a provoqué ainsi un vif mécontentement de la part du peintre qui l’a pratiquement boycotté. J’ai attiré l’attention du peintre sur le fait que c’était à son initiative que Curtiss avait été désigné, et qu’il travaillait en représentant loyal du secrétariat international, dont le devoir n’était pas de balancer par-dessus bord mais d’exécuter les décisions de la conférence. Cela a pratiquement suffi au peintre pour entamer son activité politique indépendante.
Après que l’organisation l’eut condamné, il m’a dit souvent que toute l’organisation était une erreur, qu’il n’avait jamais souhaité travailler avec elle, mais que cela lui avait été imposé par Shachtman et les autres pendant leur premier voyage au Mexique; qu’il lui serait très facile de créer une section authentique de centaines d’ouvriers, etc. J’étais sceptique, mais je gardai le silence. Il commença alors à opposer la Casa del Pueblo à la section et à Curtiss personnellement. Il semble malheureusement que la question d’argent ait joué ici un rôle important. (Les camarades américains Cannon, Shachtman et Dunne avaient sans aucune peine découvert qu’une cause très importante de la violente explosion entre l’organisation et le peintre, en dehors de son tempérament, résidait dans le fait que l’organisation dépendait directement de lui sur le plan financier. D’un commun accord, il fut décidé qu’à l’avenir il donnerait l’argent au comité panaméricain, lequel le répartirait). En créant son propre parti, le peintre a commencé à financer la Casa del Pueblo directement et à créer une situation tout à fait dégradante de dépendance d’une organisation ouvrière vis-à-vis d’un individu.
J’ai oublié de mentionner qu’un mois environ avant cette expérience, il a gagné la Casa del Pueblo pour une proclamation d’adhésion à la IVe Internationale. Au cours d’une manifestation, ils ont porté le drapeau de la IVe Internationale. Mais il ne s’agissait que d’une mesure de protection contre la IVe Internationale. Quand j’ai demandé à leurs dirigeants pourquoi ils ne voulaient pas travailler avec notre section ou avec le camarade Curtiss personnellement, ils m’ont répondu oralement qu’ils ne voyaient pas la nécessité de le faire, parce qu’ils appartenaient déjà à la IVe Internationale et qu’il était préférable pour eux de travailler dans d’autres organisations syndicales.
Quelques semaines plus tard, le peintre a décidé de faire une politique présidentielle et la Casa del Pueblo lui emboîta à nouveau le pas. Ils ont maintenant constitué leur propre parti, avec son propre programme, rédigé sur le genou par le peintre en cinq ou dix minutes.
Le peintre a déclaré que la section mexicaine de la IVe Internationale avait décidé de ne pas participer aux élections de peur de mettre en péril mon asile. Il répète ici les accusations les plus basses d’Eiffel et de Galicia qu’il traitait pour cette même raison d’agents du G.P.U.
Je dois parler ici de l’incident en relation avec les fresques d’O’Gorman Le peintre et son ami ont organisé une vive protestation, comme d’habitude sans que j’y prenne aucune part. Au cours de cette campagne, je n’ai eu qu’une discussion accidentelle sur cette question avec le peintre. Je lui ai dit que cette histoire n’avait rien de commun avec l’histoire des fresques du bâtiment Rockefeller*. Le gouvernement mexicain expropriait les entreprises pétrolières et devait vendre le pétrole. Les démocraties boycottaient ce pétrole, et les fascistes l’achetaient ; mais ils en viendraient également à le boycotter si le gouvernement mexicain mettait des caricatures d’eux dans les bâtiments gouvernementaux. Le Mexique est un pays opprimé et ne peut imposer son pétrole par ses bateaux de guerre et ses canons. Si le patron oblige les ouvriers à enlever un portrait de Marx d’une chambre d’ouvriers, les ouvriers doivent obéir pour éviter d’être jetés à la rue. La position du Mexique vis-à-vis des grands pays impérialistes est semblable à celle des ouvriers vis-à-vis de leur patron. Par exemple, pendant la période de Brest-Litovsk, nous ne pouvions pas mettre de caricatures de Guillaume II dans nos bâtiments gouvernementaux et encore moins dans le journal gouvernemental officiel. C’est une question de rapport de forces, pas de principe. J’ai essayé d’expliquer tout cela au peintre. Mais il affirmait que le gouvernement, et particulièrement Múgica (c’était dans son ministère), étaient des lèche-bottes réactionnaires de Hitler et de Mussolini et qu’ils feraient tout pour se montrer anti-sémites, etc. Et il disait qu’il avait rompu toutes relations avec Hidalgo qui avait essayé de défendre « son maître réactionnaire, Múgica ». J’ai compris cette allusion et abandonné la discussion.
Vous pouvez concevoir combien j’ai été stupéfait quand Van a rencontré par hasard le peintre en compagnie de Hidalgo, en train de quitter le bâtiment du comité pour Múgica charriant des paquets de tracts pour Múgica qu’ils chargeaient dans la break du peintre. Je crois que c’est la première fois que nous avons appris le nouveau tournant, ou le passage du peintre de « l’anarchisme troisième période »H à la politique de front populaire. La malheureuse Casa del Pueblo l’a suivi pas à pas.
Nous avons été très patients, mon cher ami. Nous espérions qu’en dépit de tout nous pourrions conserver cet homme fantastique dans notre mouvement. Je me suis tenu à l’écart et le camarade Curtiss a fait tout ce qui pouvait l’être. Tout cela en vain.
Vous connaissez maintenant ses accusations personnelles contre moi. Elles sont apparues de façon inattendue, même pour lui. Il était mécontent de notre lenteur, de notre attitude conciliatrice vis-à-vis de Galicia et compagnie, etc. Il voulait à tout prix faire un miracle. Dans son esprit fantastique, il en est venu comme à espérer qu’après avoir remporté un succès en dominant la Casa del Pueblo et la C.G.T., il pourrait revenir triomphant vers nous et que nous reconnaîtrions sa maîtrise. Mais ses fiascos l’ont rendu nerveux et hostile à notre égard. De même qu’il accusait Shachtman de la responsabilité de sa propre mésaventure avec la ligue mexicaine, de même il a commencé à m’accuser d’être responsable de ses propres erreurs et bonds fantastiques. C’est dans cet état d’esprit qu’il a dicté sa fantastique lettre à André Breton. Incapable de trouver un seul fait à me reprocher, il a simplement inventé deux histoires, dont tous nos amis, en particulier Van et Curtiss, savent qu’elles sont absolument fausses. Une copie non signée de cette lettre fantastique est tombée par hasard entre les mains de Natalia. Vous pouvez imaginer ma stupeur et mon dégoût personnel. J’ai demandé une explication à Van. Il m’a dit que le peintre lui avait promis de me communiquer personnellement cette lettre. Malgré tout j’ai essayé de régler cette question de façon aussi discrète que possible à travers l’intervention de Van, puis de Curtiss. J’ai demandé seulement qu’il reconnaisse que ses deux exemples de mon « manque de loyauté » n’étaient que des malentendus (je ne lui ai même pas demandé de reconnaître qu’ils les avaient en réalité inventés). Il accepta, il refusa, accepta de nouveau, refusa de nouveau. Je lui adressai copie de tous les documents destinés au comité panaméricain. Le camarade Curtiss fit un ultime effort pour lui faire rétracter ses fausses assertions. Il refusa et montra même à Curtiss une lettre destinée à Bertram Wolfe annonçant sa rupture avec nous à cause de notre opportunisme, etc.
Nous devons maintenant nous montrer fermes avec cette personnalité fantasque. Il y a deux questions, l’une personnelle et l’autre politique. Je commence par la moins importante, la question personnelle.
Le comité panaméricain ne peut que se prononcer sur les trois accusations lancées par le peintre : a) que j’ai fait pression sur le camarade Curtiss pour qu’il publie l’article du peintre sur l’art non en tant qu’article, mais en tant que lettre, b) que j’ai machiné un coup d’état dans la F.I.A.R.I. en nommant Ferrel secrétaire. Tout le drame a eu lieu avec la participation du peintre et son accord. La candidature de Ferrel a été proposée par Zamora et acceptée par tous, le peintre compris (en étaient témoins les camarades Curtiss, Van, Ferrel lui-même, et Zamora), c) que j’ai utilisé des méthodes de G.P.U en relation avec la correspondance du peintre avec Breton. L’affaire est exposée complètement dans ma lettre au comité panaméricain et dans les documents. Je peux seulement mentionner ici que des citations de cette lettre sont publiées dans la revue française Clé (ces parties sont également dirigées contre moi, mais de façon anonyme et prétendument sur un plan de principes). Et là, je dois demander au comité panaméricain une déclaration très claire et catégorique, même s’il fallait estimer nécessaire une commission d’enquête, car cette question peut avoir des répercussions internationales. Encouragé par son apparente impunité, le peintre ajoute tous les jours un détail et parfait le tableau de ses accusations. Vous le connaissez personnellement suffisamment pour me comprendre. Nous devons être armés contre ses extravagantes calomnies. Je ne propose pas la publication du verdict du comité panaméricain, mais il doit être communiqué aux personnes intéressées, y compris le peintre lui-même, avec l’avertissement que, si de fausses accusations continuaient à être répandues à l’avenir, le verdict serait rendu public.
En ce qui concerne l’aspect politique de la question, à mon avis, nous devons publier immédiatement une déclaration très claire et catégorique sur les activités politiques du peintre au cours de la dernière période, déclarant que les documents qu’il a élaborés sont en totale contradiction avec le marxisme et les décisions de la IVe Internationale, et que, même s’il n’avait pas démissionné, il s’était par ses activités, mis lui-même en dehors de la IVe Internationale. Le mouvement ouvrier n’est pas un libre champ pour les expériences individuelles. Je crois qu’il faudrait adopter et publier aussi vite que possible une telle résolution, et même la diffuser par le canal des agences bourgeoises de presse.
Je pense qu’il faudrait, dans la déclaration du comité panaméricain, expliquer que, malgré ses particularités individuelles, le cas du peintre fait partie de la retraite générale des intellectuels. Quelques-uns d’entre eux avaient beaucoup de « sympathie » pour nous tant qu’ils nous considéraient comme des gens persécutés ayant besoin de leur protection. Mais, maintenant que nous devenons un facteur politique, avec nos propres buts et notre propre discipline, ils sont de plus en plus « désenchantés » par nous, et, après quelques bonds vers l’ultra-gauche, cherchent un havre dans l’opinion publique bourgeoise de leur patrie. Notre peintre est seulement plus doué, plus généreux et plus fantasque que les autres, mais il est néanmoins l’un d’eux.
Il faudrait publier sur cette question un article dans New International, et la décision politique dans Socialist Appeal.
J’espère vous avoir donné les informations les plus importantes et vous pouvez les mettre à la disposition du comité panaméricain.