Lettre à James P. Cannon, 21 janvier 1938

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Le Rôle de Sneevliet

Cher Camarade Cannon,

Avec Sneevliet, comme je vous l’ai déjà écrit souvent, la situation n’est pas seulement mauvaise, elle est désespérée. Sneevliet est un philistin conservateur sans aucune perspective révolutionnaire. En 33 ou 34, quand il a obtenu son mandat parlementaire, il m’a dit : « Je vais essayer d’extraire du N. A.S. quelques mille militants de plus pour le parti et j’abandonnerai cette organisation sans espoir ». Mais ce n’étaient que des paroles. Quand il a perdu son mandat, il a repris des deux mains son poste de secrétaire du N.A.S. C’est une question d’emplois pour une bureaucratie lilliputienne. La politique de Sneevliet est entièrement subordonnée à la tâche de conserver cet emploi pour lui ou son plus proche collaborateur. Sa rupture ouverte avec nous constituera naturellement un coup indiscutable pour la IVe Internationale (un coup mortel pour son propre parti). Mais il n’y a rien à faire.

Je vous envoie des documents sur cette affaire. Il faut préparer le parti américain. A mon avis, les documents devraient être publiés dans le Bulletin intérieur. Il est possible que des camarades américains qui n’ont pas pu suivre les développements au cours des deux dernières années aient le soupçon que la rupture ait été provoquée par quelques initiatives précipitées ou maladroites du secrétariat international ou de moi-même. Grands dieux, ce n’est pas le cas !

Je puis dire que le secrétariat international a eu une attitude très chrétienne ; quand Sneevliet frappait une joue, ils lui tendaient l’autre. Et tous, plus ou moins, nous avons toléré cette situation.

Je vous ai écrit au sujet de l’attitude de Sneevliet dans l’affaire Reiss. Cette attitude a été la cause la plus importante delà perte de Reiss. Grâce au fait que nous avons retiré cette affaire des mains de Reiss, nous avons eu une situation infiniment meilleure avec Barmine et Walter Krivitsky, et même avec la veuve de Reiss. Mais, à partir du moment où cette malheureuse femme est entrée directement en rapports avec nos camarades à Paris, Sneevliet a fait un terrible scandale, de sorte que Madame Reiss, qui avait pour Sneevliet une grande estime, a demandé il un de nos camarades si Sneevliet n’était pas ivre.

L’homme n’est pas seulement opportuniste politiquement, mais, dans son petit fief, il a l’habitude d’être un dictateur absolu. Il intervient dans la vie de toutes les sections (ce qui est son bon droit) avec une brutalité extrême (ce qui est superflu) mais il ne tolère pas la moindre critique de la part des autres sections ou des membres de son propre parti. Au cours des dernières années, il a été politiquement complètement touché par le courant réactionnaire de la politique européenne, avec le P.O.U.M., mais aussi avec le Bureau de Londres. Son but est de jeter l’ancre dans le port de Fenner Brockway. On n’y pouvait rien faire.

Si votre comité national ou vous personnellement jugiez nécessaire de vérifier notre longue expérience par votre propre intervention, vous pourriez écrire à Sneevliet une lettre officielle ou personnelle, lui demandant des explications et ainsi de suite. Je ne pourrais pour ma part que me féliciter d’une telle initiative, car elle aurait, du point de vue de l’éducation, une bonne influence, non seulement sur les Américains, mais aussi sur les autres sections.

Pratiquement, votre intervention, comme je vous l'ai écrit il y a deux mois, ne peut rien changer.

Je dois à nouveau répéter qu’il est absolument nécessaire de donner un soutien moral et au moins une petite aide financière au SI.