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Lettre à Ivar Smilga, décembre 1928
Il faut toucher la masse du parti
Vous demandez, ainsi que d’autres camarades, si nous n’adoptons pas une ligne de conduite trop « conciliatrice » en formulant des revendications telles que : convoquer honnêtement le XVIe congrès, réduire de vingt fois le budget du parti, publier les travaux de Lénine dissimulés jusqu’à présent, etc. Il va de soi que vous comprenez qu’il s’agit ici de mots d’ordre immédiats, ayant trait à la vie intérieure du parti. Ce sont là les premières démarches dont l’exécution devrait montrer au parti qu’il s’est effectué un changement sérieux de régime. La question de savoir jusqu’à quel point sont réalisables les dits mots d’ordre sous la direction actuelle ne décide nullement du sort des mots d’ordre eux-mêmes. Pour nous il est tout à fait clair : a) que la direction actuelle est incapable ; b) que les mots d’ordre minimum énumérés, ayant trait à la vie intérieure du parti, ne seront pas réalisés par la bonne volonté de la direction. Il s’agit ici de mobiliser le noyau prolétarien du parti, pour ainsi dire la fraction bolchevique du parti communiste de l’U.R.S.S., pour certaines revendications transitoires très simples et tout à fait indiscutables. La résistance que la direction fera à ces revendications ouvrira les yeux du parti en lui faisant voir le caractère de sa direction, et en élargissant ainsi la fraction bolchevique dans le parti communiste de l’U.R.S.S. En d’autres termes, la signification des revendications formulées au point de vue de la vie intérieure du parti est la même que celle de toutes les revendications transitoires dans le programme communiste en général.
Mais sont-elles justes même en tant que revendications transitoires? On ne pourrait contester leur justesse qu’en prenant comme point de départ la conception que « le parti est un cadavre » (V. Smirnov), c’est-à-dire en niant l’existence, au sein du parti communiste de l’U.R.S.S., d’une fraction bolchevique qui peut grandir très considérablement. Dans la phase présente, cette question a une importance décisive.
Pour estimer la justesse, la conformité au but poursuivi, de n’importe quel mot d’ordre transitoire, il est nécessaire de se transporter par l’imagination dans la position d’un ouvrier oppositionnel intervenant à l’assemblée de sa cellule ou à la réunion de son usine, où l’on examine les questions du parti, par exemple celle de l’ « autocritique ». Si l’ouvrier oppositionnel veut se perdre lui-même et sa cause, il dira : « Le parti est un cadavre et on ne peut rien attendre de lui. » Une pareille position serait purement réactionnaire : le sectarisme, tentant de se donner cours sur une vaste arène, a fréquemment joué et jouera encore un rôle réactionnaire. Un oppositionnel raisonnable dira : pour que l’ « autocritique » cesse d’être une demi-comédie et une demi-provocation, il faut assurer la réalisation des prémices les plus élémentaires de la démocratie dans le parti, et il énumérera les mots d’ordre ci-dessus exposés. Il peut et doit ajouter, en même temps, ouvertement :
« Je ne crois nullement que la direction actuelle soit capable d’exécuter volontairement ces revendications, et c’est pour cela que je ne crois pas pour un sou à P “ autocritique ”. Mais vous, camarades, vous y croyez ou vous voulez y croire. Eh bien, alors, vérifions la chose d’après les revendications indiscutables que je propose. »
Voilà comment agira un oppositionnel sérieux qui cherche sa voie vers le noyau prolétarien du parti et vers la masse en général. Il n’est nullement suffisant que nous sentions nous-mêmes avoir raison. Ce sentiment ne vaut absolument rien s’il ne tend pas à devenir une force de masse. Il ne nous sied pas de courir pour être plus smirnoviens que Smirnov lui-même. Dans une réunion du parti, les partisans de V. Smirnov ne sauront simplement pas sur quel pied danser, ou bien ils seront obligés de consacrer leurs discours à la démonstration de ce qu’ils n’ont jamais considéré le parti comme un cadavre, etc.
On ne peut évidemment oublier en même temps que des mots d’ordre partiels n’embrassent qu’une petite partie de la question. Mais il reste encore la Plate-forme ainsi que tous nos autres documents. C’est là-dedans qu’est élaboré tout un système de revendications touchant à tous les problèmes fondamentaux de l’activité du parti communiste. Dans ce domaine, nous n’atténuons rien; au contraire nous accentuons et nous approfondissons (en particulier dans nos documents adressés au congrès). Mais il faut présenter au parti notre critique intransigeante et nos mots d’ordre « intégraux » de telle façon que le noyau ouvrier sente que nous voulons et que nous pouvons lui parler dans une langue qu’il comprend. Car la masse n’est pas encore avec nous. Il ne faut pas l’oublier. C’est la chose principale et fondamentale. La masse est mécontente ; le noyau ouvrier du parti est mécontent ; mais ils expriment leur mécontentement dans le langage conventionnel et faux des officiels de l’appareil dont le caractère marquant est la haine de l’Opposition ou la crainte de celle-ci. Il faut, sans rien abandonner sur le fond, aborder la masse du parti de manière à ce qu’elle trouve sa voie vers le véritable esprit du parti, en prenant comme point de départ ses positions actuelles. C’est surtout ce but que visent les mots d’ordre exposés plus haut.