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Lettre à Hynek Lenorovic, juin 1930. Sur la question syndicale
Cher Camarade Lenorovic,
J'ai lu vos thèses syndicales avec un grand intérêt, d'abord pour moi-même, puis avec les deux camarades de Prague. Naturellement, vous considérez vous-même ces thèses comme un premier jet devant servir de point de départ à la discussion internationale et nécessitant d'être par la suite développées et précisées. Il serait bon de reproduire ce projet avec peut-être les amendements résultant déjà de l'état actuel de la discussion de ces derniers jours, et de l'envoyer aux groupes d'opposition de Tchécoslovaquie pour qu'ils prennent position.
Il me semble que, même pour l'Opposition de gauche, il faudrait intégrer dans les thèses les devoirs et les tâches élémentaires, par exemple:
1. Tout camarade organisé dans l'Opposition doit appartenir à un syndicat. S'il a le libre choix à cet égard, la décision en faveur de telle ou telle organisation syndicale doit être prise par le groupe, c'est-à-dire en considérant les intérêts du travail d'agitation et d'organisation.
2. Dès à présent et sans délai, l'Opposition doit mettre sur pied une commission syndicale, aussi modeste qu'elle puisse être au début. En raison de votre activité antérieure et de la division en quelque sorte naturelle du travail au sein de l'Opposition, il nous semble à tous les trois ici que vous auriez tout à fait votre place à la tête de cette commission syndicale. Evidemment, il vous faudra décider là-bas de cette question.
3. Avec l'aide de la commission syndicale, l'Opposition doit étudier très sérieusement la situation des organisations syndicales en Tchécoslovaquie, rassembler soigneusement les matériaux à son sujet, les exploiter, en tirer les conclusions qui s'imposent. Chaque camarade organisé syndicalement est tenu de faire parvenir régulièrement à la commission syndicale rapports, matériaux, extraits de presse syndicale, ainsi que des informations sur les affaires internes.
4. La commission syndicale, pour sa part, est tenue de travailler sur ces matériaux et de les rendre accessibles, peut-être sous forme de circulaires, à tous les camarades oppositionnels et évidemment aussi à l'Opposition internationale par l'intermédiaire de son secrétariat. Parallèlement, il faudrait insister pour que le Secrétariat International constitue lui aussi une commission syndicale internationale chargée d'étudier les expériences dans ce domaine à l'échelle internationale, de les généraliser et de les rendre accessibles à toutes les sections.
Et maintenant, à propos des thèses elles-mêmes: dans le domaine syndical plus que partout ailleurs, la quantité se transforme en qualité; cela signifie qu'on ne peut pas définir une politique ayant valeur universelle par rapport aux syndicats réformistes, sans connaître le rapport des forces, la composition des syndicats réformistes (couches privilégiées ou travailleurs du rang, vieux bonshommes ou jeunes gars), les processus en cours dans ces syndicats (s'ils croissent aux dépens des communistes, des socialistes nationaux, des indifférents, des inorganisés, etc.) Il faut hélas constater que jusqu'à présent l'Opposition en Tchécoslovaquie n'a pas assez étudié les éléments nationaux: formes d'organisation, tendances etc. Cela s'explique par deux faits: c'est un Etat jeune, et les éléments qui sont venus à l'Opposition sont précisément ceux qui s'intéressent bien plus au caractère international qu'au caractère national. Mais cette explication psychologico-politique ne doit pas servir de justification, car le devoir de l'Opposition tchécoslovaque est maintenant de nationaliser les éléments internationaux, c'est-à-dire d'adapter les principes généraux de la politique marxiste à la situation concrète de ce nouvel Etat. Je répète que cela nécessite une réflexion poussée et cette réflexion devient dès lors un principe constituant de la plus grande importance, de la politique de l'Opposition.
Une chose est claire: on ne peut abandonner les syndicats rouges car ils sont l'un des points d'appui de l'aile révolutionnaire de la classe ouvrière. C'est d'ailleurs la seule question de principe qui ne soit pas développée dans vos thèses. II serait en tout cas nécessaire d'y insister. Mais il est tout à fait exact que, dans le cas où les syndicats réformistes sont vraiment incomparablement supérieurs en effectifs, il est impossible d'élaborer une politique correcte pour les syndicats rouges (tactique des grèves, assurances, etc.) si l'on ne dispose pas d'une ligne correcte par rapport aux syndicats réformistes. Notre attitude envers les syndicats Hais découlera nécessairement de notre attitude envers les syndicats réformistes, car les syndicats Hais sont une création hybride.
La constitution de fractions communistes et, plus généralement, de fraction de gauche dans les syndicats réformistes, me semble une nécessité. Quoi qu'il en soit, tout cela reste pour moi hypothétique, dans la mesure où je n'ai pas assez de points d'appui pour fonder mon appréciation de la situation. Y avons-nous fait adhérer des camarades oppositionnels afin qu'ils s'informent de la situation et de la vie internes ? Car c'est ainsi seulement que l'on peut donner un contour précis au mot d'ordre d'une aile gauche syndicale, sinon ce mot d'ordre sera trop abstrait.
A propos de votre point 26: c'est précisément parce que l'Opposition de gauche en Tchécoslovaquie n'est encore qu'un petit groupe, disposant de peu d'informations, qu'il serait peut-être prématuré de décider à l'avance et de votre propre chef qu'il est nécessaire de travailler dans les syndicats réformistes; il faudrait plutôt nouer des relations dans les syndicats rouges, les syndicats Hais et les syndicats réformistes, puis comparer informations et résultats. Car il ne s'agit pas ici de principes éternels mais de possibilités pratiques et des formes adéquates permettant d'appliquer ces principes. C'est ce que vous dites d'ailleurs vous-même fort bien et fort justement dans les premières lignes du point 29. Il s'agit donc de lever la contradiction apparente entre les points 26 et 29. La seconde partie du dernier paragraphe contient une affirmation ou plutôt un diagnostic dont il m'est impossible de dire s'il est juste ou non. Vous dites que les syndicats rouges ne sont pas destinés à durer, qu'ils ne remplissent qu'une tâche temporaire. C'est possible. Mais, du d'un point de vue théorique, on peut imaginer qu'avec une politique correcte, les syndicats rouges sont en mesure de rassembler une fraction importante de la classe ouvrière et même d'attirer la partie la plus révolutionnaire des travailleurs organisés dans les syndicats réformistes. Dans ce cas, ils peuvent non seulement devenir permanents mais même le point de départ de véritables syndicats dans la révolution et après elle. Il ne s'agit là que d'une pure hypothèse, car tout dépend en ce domaine premièrement de la situation existant aujourd'hui et deuxièmement des possibilités de remplacer une mauvaise politique par la bonne. Mais il me semble qu'il ne serait pas très prudent d'intégrer dès maintenant dans les thèses syndicales ce pronostic, qu'il faudrait peut-être développer dans un article. Voilà les principales remarques que je puis émettre aujourd'hui.
Les camarades Fr(ankel) et K(opp) vous écriront peut-être à ce sujet. Mais il est excellent que vous ayez fait les premiers pas dans ce domaine important. Maintenant, il faut aller plus loin.
En ce qui concerne les grandes questions de politique mondiale développées dans votre dernière lettre, je ne pourrais y répondre que par des articles, ce que je ferai volontiers dans un avenir proche. En tout cas, je suis très heureux que les camarades tchécoslovaques se préoccupent avec tant de zèle de ces grandes questions des perspectives révolutionnaires, car c'est toujours un bon signe pour des marxistes. Je serais très heureux que vous m'écriviez à propos de votre travail à Bratislava en direction des membres de l'Armée rouge qui s'y trouvent, et aussi à propos de votre santé.