Lettre à Gabriel Miasnikov, 18 septembre 1929

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Cher camarade Myasnikov,

Je ne vois toujours pas quel retard (si retard il y a) a été apporté votre manuscrit, et par conséquent, ne je vois pas non plus qui est responsable (si quelqu'un est responsable). Lorsque j'ai envoyé le manuscrit à Berlin, jamais ne n'ai écrit à qui que ce soit que ce n'était pas urgent. Moi, je vous ai expliqué que j'envoyais à Berlin, pour les y faire dactylographier, des documents pas trop urgents, étant donné l'absence totale, à Constantinople, de service capable de dactylographier en russe.

Une des causes possibles de ce retard pourrait être le fait que certains, à Berlin, et en particulier Pfemfert[1], se méfient de Rumynov. Je ne connais pas Rumynov. Il m'a envoyé un télégramme et une lettre. J'ai trouvé le télégramme déplaisant et la lettre stupide. Je n'ai répondu ni à l'un ni à l'autre.

Vous dites que je dois préfacer votre brochure, car c'est la garantie qu'elle sera publiée, faute de quoi je pourrais être convaincu de stalinisme. Vous avez là une façon de poser le problème véritablement irresponsable. Le stalinisme ne consiste pas dans le fait que Staline s'oppose à la diffusion d'opinions nuisibles, mais dans le fait qu'il ne sait pas situer la frontière entre le nuisible et l'utile. La question doit être soulevée au fond, et non pas du point de vue de je ne sais quelle universelle philanthropie. Votre approche du problème montre à elle seule combien nos positions respectives sont incompatibles. C'est pourquoi je crois plus sain, à l'avenir, d'exclure l'activité politique des relations amicales que notre situation d'émigré d'un type nouveau nous a amenés à nouer. Je crois que nous pouvons nous rendre des services personnels, sans exiger ni attendre l'un de l'autre ce que nous ne pouvons garantir l'un à l'autre : une solidarité politique. Elle n'existe pas, le contenu comme le ton de votre lettre sont là pour le prouver ; il serait par conséquent absurde d'en poursuivre le mirage.

Il serait franchement ridicule, camarade Myasnikov, que nous nous mettions à nous réprimander, à nous sermonner, à nous admonester par lettres. Nous ne ferions que perdre notre temps l'un et l'autre, et nous user les nerfs. J'en termine sur ce sujet. Je serai heureux de pouvoir vous être utile dans telle ou telle circonstance pratique.

La nouvelle publication de l'opposition française, La Vérité, a publié une note de protestation contre le "mauvais coup" contre vous. La même note passera dans le Biulleten russe. Je l'ai envoyée à Berlin également, pour que le comité en fasse ce que bon lui semblera.

Cordiales salutations.

  1. Franz Pfemfert (1879-1954), écrivain expressionniste, grand ami de Trotsky, directeur de Die Aktion, était un peu son agent littéraire en Allemagne.