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Lettre à Evgueni Preobrajenski, 2 mars 1928
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 2 mars 1928 |
La Pravda publie, en plusieurs feuilletons, un long article intitulé « La signification et les leçons de l'Insurrection de Canton ». Cet article est vraiment remarquable à la fois pour les informations de première main précieuses et vérifiées qu'il contient et pour sa claire exposition de contradictions et d'une confusion qui sont d'une nature principielle.
Il commence par donner une estimation de la nature sociale de la révolution elle-même. Comme nous le savons tous, c'est une révolution démocratique-bourgeoise, ouvrière et paysanne. Hier on la supposait se développant sous la bannière du Kuo-Min-Tang, aujourd'hui elle se développe contre le Kuo-Min-Tang.
Mais, de l'avis de l'auteur, la révolution et même toute la politique officielle, conservent un caractère démocratique bourgeois. Passons ensuite au chapitre qui traite de la politique du pouvoir soviétique. Nous y trouvons que « dans les intérêts des ouvriers, le Soviet de Canton publia des décrets établissant... le contrôle ouvrier sur la production, réalisé au moyen de comités d'usines (et)... la nationalisation de la grande industrie, des transports et des banques ».
Il continue par l'énumération des mesures suivantes : « La confiscation de tous les appartements de la grande bourgeoisie pour qu'ils soient mis à la disposition des travailleurs... »
Ainsi les ouvriers avaient le pouvoir à Canton, par leur Soviet. En fait, le pouvoir était entre les mains du Parti communiste, c'est-à-dire du parti du prolétariat. Le programme comprenait non seulement la confiscation de ce qui pouvait encore rester de propriété féodale en Chine, non seulement le contrôle ouvrier sur la production, mais aussi la nationalisation de la grande industrie, des banques et des transports, ainsi que la confiscation des appartements des bourgeois et de toute leur propriété pour qu'ils soient mis à là disposition des travailleurs. La question suivante se pose : si telles sont les méthodes de la révolution bourgeoise, à quoi ressemblera la révolution socialiste en Chine ? Quelle autre classe pourrait effectuer le bouleversement et par quelles sortes de mesures différentes ? Nous remarquons que, dans un développement réel de la révolution, la formule d'une révolution démocratique-bourgeoise, ouvrière et paysanne appliquée à la Chine dans la présente période, au stade donné du développement, est une formule creuse, une fiction, une bagatelle. Ceux qui insistaient sur cette formule avant l'insurrection de Canton, et surtout ceux qui insistent sur elle maintenant, après l'insurrection, répètent (dans des conditions différentes) la faute principielle commise par Zinoviev, Kamenev, Rykov et les autres en 1917. On peut objecter que la révolution agraire n'a pas encore été résolue en Chine ! C'est vrai. Mais elle n'était pas plus résolue dans notre propre pays avant l'instauration de la dictature du prolétariat. Dans notre pays, ce ne fut pas la révolution démocratique bourgeoise mais la révolution socialiste prolétarienne qui réalisa la révolution agraire, laquelle était, de plus, beaucoup plus profonde que celle qui est possible en Chine, étant données les conditions historiques du système chinois de propriété terrienne. On peut dire que la Chine n'est pas encore mûre pour la révolution socialiste. Mais ce serait une manière abstraite et figée de poser la question. La Russie, prise en soi, était-elle donc mûre pour le socialisme ? La Russie était mûre pour la dictature du prolétariat comme la seule méthode capable de résoudre tous les problèmes nationaux ; mais en ce qui concerne le développement socialiste, celui-ci, dépendant des conditions économiques et culturelles d'un pays, est lié indissolublement à tout le développement futur de la révolution mondiale. Ceci s'applique en tout et en partie à la Chine également. Si huit à dix mois plus tôt, ce n'était qu'une prévision (plutôt tardive), aujourd'hui c'est une déduction irréfutable de l'expérience du soulèvement de Canton. Il serait erroné de plaider que le soulèvement de Canton était grosso modo une aventure et que les réels rapports de classe s'y reflétaient sous une forme déformée.
En premier lieu, l'auteur de l'article ci-dessus mentionné ne considère pas du tout l'insurrection de Canton comme une aventure, mais comme une étape tout à fait légitime dans le développement de la révolution chinoise. Le point de vue officiel général combine l'estimation de la révolution comme étant une révolution démocratique bourgeoise à une approbation du programme d'action du gouvernement de Canton. Mais, même en estimant que l'insurrection de Canton était un putsch, on ne peut arriver à la conclusion que la formule de la révolution démocratique bourgeoise est une formule viable. L'insurrection était évidemment inopportune. Elle l'était. Mais les forces de classe et les programmes qui en découlent inévitablement furent révélés par l'insurrection dans toute leur validité. La meilleure preuve en est qu'il était possible et nécessaire de prévoir à l'avance le rapport des forces qui fut dévoilé par l'insurrection de Canton. Et ceci fut prévu.
Cette question est intimement liée à la question primordiale du Kuo-Min-Tang. Incidemment, l'auteur de l'article raconte, avec une visible satisfaction, qu'un des mots d'ordre de combat du soulèvement de Canton était : « A bas le Kuo-Min-Tang ! » Les bannières et les insignes du Kuo-Min-Tang furent déchirés et piétinés. Mais récemment encore, même après la « trahison » de Wan-Tin-Wei, nous entendions les déclarations solennelles : « Nous n'abandonnerons pas la bannière du Kuo-Min-Tang ! » O, ces pauvres révolutionnaires !
Les ouvriers de Canton mirent le Kuo-Min-Tang et toutes ses tendances hors la loi. Qu'est-ce que cela implique ? Cela implique que pour résoudre les tâches nationales fondamentales, ni la grande bourgeoisie ni non plus la petite bourgeoisie n'ont pu fournir une force permettant au parti du prolétariat de résoudre en commun avec lui les tâches de la « révolution démocratique bourgeoise ». Mais « nous » négligeons les millions et les millions de paysans et la révolution agraire... Objection pitoyable... Car la clef de toute la situation réside précisément dans le fait que la tâche de la conquête du mouvement paysan incombe au prolétariat, c'est-à-dire directement au parti communiste ; et cette tâche ne peut pas en réalité être résolue autrement qu'elle ne l'avait été par les ouvriers de Canton, c'est-à-dire sous la forme de la dictature du prolétariat dont les méthodes se transforment, dès le début même, inévitablement, en méthodes socialistes. Réciproquement, le sort général de ces méthodes ainsi que de la dictature dans son ensemble est décidé en dernière analyse par le cours du développement mondial, ce qui naturellement n'exclut pas mais au contraire présuppose une juste politique de la part de la dictature prolétarienne, politique qui consiste à fortifier et à développer l'alliance des ouvriers et des paysans et à s'adapter en tous points aux conditions nationales, d'une part, et au cours du développement mondial, de l'autre. Jouer avec la formule de la révolution démocratique bourgeoise, après l'expérience de l'insurrection de Canton, c'est marcher à rencontre de l'Octobre Chinois, car des soulèvements révolutionnaires, quels que puissent être l'héroïsme et l'esprit de sacrifice, ne peuvent être victorieux sans une orientation politique générale correcte.
Certes, la révolution chinoise est « passée dans une nouvelle phase plus élevée » — mais ceci est juste non dans le sens qu'elle jaillira demain ou le jour suivant, mais dans le sens qu'elle a révélé le vide du mot d'ordre de la révolution démocratique bourgeoise. Engels a dit qu'un parti qui manque une situation révolutionnaire et subit par suite une défaite se transforme en un zéro. Ceci s'applique également au parti chinois. La défaite de la révolution chinoise n'est en rien plus petite que la défaite en Allemagne en 1923. Bien entendu, nous devons comprendre la référence au « zéro » d'une manière sensée. Bien des choses annoncent que la prochaine période en Chine sera une période de reflux révolutionnaire, un lent processus d'assimilation des leçons des plus cruelles défaites, et par conséquent d'affaiblissement de l'influence directe du parti communiste. D'où il découle pour celui-ci la nécessité de tirer des conclusions profondes dans toutes les questions de principe et de tactique. Et ceci est impossible sans une discussion ouverte et complète de toutes les erreurs fatales commises jusqu'à présent. Bien entendu cette activité ne doit pas tourner en une activité menant à l'isolement. Il est nécessaire de tenir fermement la main sur le pouls de la classe ouvrière afin de ne pas commettre d'erreurs d'appréciation des rythmes et non seulement de savoir reconnaître une nouvelle vague montante, mais aussi de s'y préparer à temps.