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Special pages :
Lettre à Edward Spencer Beesly, 12 septembre 1870
Cher Monsieur,
Mercredi dernier, M. Serraillier, membre du Conseil général de l'Association internationale des travailleurs, est allé à Paris comme plénipotentiaire du Conseil. Il a cru de son devoir d'y demeurer, non seulement pour participer à la défense, mais pour faire peser son influence sur notre conseil fédéral de Paris, et il est c'est un fait, un homme d'une qualité intellectuelle supérieure. Sa femme a été informée aujourd'hui de sa résolution. Malheureusement, elle n'est pas seulement sans le sou, elle et son enfant, mais les créanciers de Serraillier, qui ont des traites pour une valeur d'environ 12 livres, menacent de vendre ses meubles et de la jeter à la rue. Dans ces circonstances, mes amis et moi avons résolu de venir à son aide, et c'est pour cela que je prends la liberté d'en appeler, par cette lettre, également à vous et à vos amis.
Vous verrez que l'Adresse que j'ai déposée devant le Conseil général vendredi dernier, et qui est à l'impression, coïncide sur bien des points presque littéralement avec votre brochure[1].
Mon opinion est que Paris sera forcé de capituler, et, d'après les lettres personnelles que je reçois de Paris, il est clair que plusieurs membres influents du Gouvernement provisoire sont préparés à une évolution semblable des événements.
Serraillier m'écrit aujourd'hui que la hâte avec laquelle les Prussiens marchent sur Paris est la seule chose au monde susceptible de prévenir une nouvelle Insurrection de juin. Paris tombé, la France sera loin d'avoir perdu, si les provinces font leur devoir.
Le conseil fédéral de Paris me bombarde de télégrammes, tous dans cette intention: la reconnaissance de la République française par l'Angleterre. En fait, c'est très important pour la France. C'est la seule chose que vous puissiez faire pour elle à présent. Le roi de Prusse traite officiellement Bonaparte comme le souverain régnant de la France. Il veut le rétablir. La République française n'existera pas officiellement avant sa reconnaissance par le gouvernement britannique. Mais il n'y a pas un moment à perdre. Permettrez-vous à votre reine et à votre oligarchie, sous la dictée de Bismarck, d'abuser de l'immense influence de l'Angleterre ?
Fidèlement à vous,
Karl MARX,
A propos. Il y a, à l'instant même, dans la presse anglaise, un bien inutile bavardage à propos de « nos défenses ».
En cas de guerre avec la Prusse ou d'autres puissances militaires du continent, vous avez un moyen d'attaque, mais celui-là infaillible, - détruire leur commerce maritime. Vous pouvez le faire seulement en revendiquant vos « droits maritimes », qui ont été abandonnés à la Russie par le traité de Paris de 1856, du fait d'une intrigue ministérielle et non d'une sanction du Parlement[2]. La Russie considère que ce point est d'une telle importance décisive qu'elle a poussé la Prusse, tout au début de la guerre, à exagérer ces clauses de « l'accord » de Paris. La Prusse, bien entendu, n'y était que trop disposée. En premier lieu, elle n'avait aucune marine. En second lieu, il est, bien entendu, de l'intérêt commun des puissances militaires continentales d'amener l'Angleterre, la seule grande puissance maritime d'Europe, à abandonner les moyens les plus caractéristiques de la guerre maritime sous prétexte d'humanité ! Le privilège de l'inhumanité - et vous ne pouvez faire aucune guerre d'une façon « humaine » - étant réservé aux forces de terre ! En outre, cette « philanthropie » diplomatique suppose que la propriété - toujours sur mer, non sur terre - est plus sacrée que la vie humaine. C'est la raison pour laquelle les stupides manufacturiers et marchands anglais ont permis eux-mêmes qu'on les dupe par les clauses de Paris sur la guerre maritime -pour eux sans application possible, parce que non reconnues par les États-Unis. Et c'est seulement dans une guerre avec eux qu'une telle condition pourrait être de quelque valeur pour les marchands d'argent d'Angleterre. Le mépris avec lequel l'Angleterre est à présent traitée par la Prusse et la Russie (cette dernière tranquillement en marche vers l'Inde) n'est dû qu'à l'assurance où elles sont que, dans une guerre offensive, elle ne peut rien faire et que pour une guerre maritime, où elle pourrait tout faire, elle s'est désarmée, ou plutôt a été désarmée par l'acte arbitraire de Clarendon, agissant sur les instructions secrètes de Palmerston. Déclarez demain que ces clauses du traité de Paris - pas même rédigées sous la forme de clauses de traité - sont des chiffons de papier, et je vous garantis que le ton des matamores continentaux changera sur-le-champ.
- ↑ E. S. BEESLY, professeur d'histoire à l'Université : Parole pour la France : Adresse aux ouvriers de Londres, Londres, septembre 1870.
- ↑ Marx fait ici allusion au traité conclu après la guerre de Crimée. Par une des clauses de ce traité, le privateering était aboli. Avant cette déclaration, les gouvernements avaient l'habitude de donner des licences à des personnes privées, les autorisant à équiper des navires armés (privateers) dans le but de détruire les bateaux marchands de l'ennemi.