Lettre à Edward K. Mills Jr, 16 mai 1939

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Explication avec l’éditeur

Cher M. Mills,

Ma collaboratrice, Mademoiselle Lillian Curtis, a fait une comparaison méticuleuse entre la longueur du texte original en russe et trouvé que le texte anglais dépasse le texte russe de — cela semble incroyable — 29,7 %. Cela signifie que le texte russe ne contient pas plus de 11000 mots et le texte anglais 14225. J’avais l’obligation de remettre l’introduction en russe. Nous avons maintenant la solution du puzzle.

La langue russe n’a pas d’articles, de verbes auxiliaires et elle est plus concise à d’autres égards. Une grande partie de mon travail est consacrée à réduire toutes les phrases à leur forme la plus simple et la plus brève. D’un autre côté, M. Malamuth, le traducteur, qui est un bon traducteur, très consciencieux, n’est ni anglais ni américain de naissance. Il est impossible qu’il puisse disposer du vocabulaire et de la grammaire anglaise avec l’assurance absolue qui est nécessaire pour trouver l’expression la plus adéquate. Quand il rencontre une difficulté, il fait un détour et utilise cinq mots quand deux seulement seraient nécessaires.

Telles sont les raisons pour le surplus de 29,7 % et non le manque de précision de ma part. Je crois qu’une mise au point très attentive par un auteur ou éditeur authentiquement américain, respectueux aussi bien de l’original que de la traduction anglaise, pourrait éliminer « l’eau » introduite par la traduction et l’abréger de 1000 mots environs. Je ne pourrais qu’accueillir avec joie une telle mise au point.

Je vous remercie de tout cœur pour votre appréciation favorable de l’introduction. J’espère que, si le livre est lancé avec la vigueur nécessaire, il aura une grande diffusion. Mais permettez-moi d’expliquer ici pourquoi je n’ai pas signé le projet de contrat sur Le Matérialisme dialectique. Ce serait très facile d’écrire, pour Le Capital comme pour Le Matérialisme dialectique, une introduction d’environ 6000 mots consistant en une série de lieux communs qui résonnent bien, avec une encyclopédie à portée de la main ou sans. C’est très facile d’écrire de telles « introductions », « préfaces » et ainsi de suite, en un jour ou deux. Pour mon introduction au premier volume, avec la partie ajoutée, j’ai passé environ deux mois. L’écart entre le travail et le paiement n’est que trop évident : et je ne suis pas un amateur. Le travail littéraire est mon moyen d’existence.

L’introduction au Matérialisme dialectique, si elle doit être écrite de façon que le livre reste quelque temps sur le marché du livre, présente les plus grandes difficultés, surtout si on pense aux lecteurs américains. Il serait tout à fait nécessaire de confronter le matérialisme dialectique avec la pensée philosophique américaine et en premier lieu avec le pragmatisme. Pratiquement, c’est pour moi la même chose que d’écrire 12000 ou 50000 mots sur cette question. C’est la raison pour laquelle, en aucune circonstance, le travail ne saurait être fait dans les conditions que j’ai acceptées pour Le Capital.