Lettre à Christian Rakovski, 14 juillet 1928

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Opportunisme et Ultra-gauchisme

Cher Khristian Georgiévitch,

Il y a une éternité que je ne t’ai pas écrit, comme aux autres amis, me bornant à expédier divers documents. Après mon retour de l’Ili où j’ai eu la première information sur la gravité de l’état de Nina, nous sommes allés tout de suite nous installer dans une datcha. C’est là que, quelques jours plus tard, nous avons appris la mort de Nina. Tu comprends ce que cela signifiait pour nous. Mais il fallait, sans perdre de temps, préparer, pour le VIe congrès de l’Internationale communiste, nos documents. C’était difficile. Par ailleurs, la nécessité de faire ce travail à tout prix nous a fait en quelque sorte l’effet d’un sinapisme et nous a aidés à dominer notre accablement pendant les premières semaines, les plus terribles.

Nous avons attendu ici pendant tout le mois de juillet l’arrivée de Zinouchka. Mais il a, hélas, fallu y renoncer. Getié a exigé catégoriquement qu’elle aille tout de suite dans un sanatorium pour tuberculeux. Chez elle, la maladie est ancienne et, comme elle a dû soigner Ninoutchka pendant les trois derniers mois, alors que celle-ci était déjà condamnée par les médecins, son état de santé à elle est sérieusement compromis..

Parlons maintenant des travaux pour le congrès. J’ai décidé de commencer par une critique du projet de programme, en examinant toutes les questions qui nous opposent à la direction officielle. Résultat : je suis arrivé à faire un petit livre qui tient onze feuilles d’imprimerie. Dans l’ensemble, j’ai résumé ce qui avait été le fruit de notre travail collectif dans les cinq dernières années, depuis que Lénine avait abandonné la direction du parti, depuis que régnaient sans vergogne les épigones qui vécurent d’abord sur les intérêts du capital, mais qui se sont bien vite mis à dépenser le capital.

Au sujet de la déclaration au congrès, j’ai reçu plusieurs dizaines de lettres et de télégrammes. La statistique des voix n’est pas encore établie. En tout cas, sur une bonne centaine, il n’y a que trois voix pour les thèses de Préobrajensky.

Il est fort probable que le bloc de Staline avec Boukharine-Rykov conservera encore à ce congrès une apparence d’unitédans le but de tenter, désespérément, une dernière fois, de jeter sur nous « définitivement » une pierre tombale. Mais précisément ce nouvel effort qui, fatalement, ne réussira pas, peut accélérer considérablement le processus de différenciation à l’intérieur du bloc, car, dès le lendemain du congrès, la question sera encore plus nettement posée : « Où va-t-on ensuite ? » Que va-t-on répondre? Après le gaspillage des possibilités de la situation révolutionnaire en Allemagne en 1923, nous avons eu, en compensation, le zigzag ultra-gauche de 1924-25 qui était très profond. Ce cours ultra-gauche de Zinoviev a fermenté grâce à la levure de la droite : la lutte contre les partisans de l’industrialisation, la romance avec Raditch, LaFollette, l’Internationale paysanne, le Guomindang, etc. Quand l’ultra-gauche se fut épuisée en vains efforts, la même levure de la droite a amené la fermentation d’un cours de droite. On ne saurait exclure la possibilité que les mêmes faits se renouvellent sur une échelle plus grande à une nouvelle étape, c’est-à-dire d’une nouvelle période d’ultra-gauchisme prenant appui sur les mêmes prémisses opportunistes. Cependant les forces économiques au travail en profondeur peuvent briser ce courant d’ultra-gauchisme et imprimer un mouvement décisif vers la droite.