Lettre à Charles R. Walker, 15 mars 1938

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Les Livres à écrire

Cher Monsieur Walker,

Je comprends très bien les doutes des éditeurs concernant mon « efficacité et ma ponctualité ». La situation était tout à fait différente avec mon autobiographie et les trois volumes de l’Histoire de la Révolution russe. Ma capacité de travail n’est en rien diminuée. Au contraire le climat du Mexique m’est si favorable que j’ai une productivité supérieure dans le travail à ce que j’avais en France ou en Norvège. Ma lenteur a résulté de facteurs objectifs inévitables, d’une force majeure. Il n’est pas facile de trouver dans l’histoire un autre auteur qui ait connu les conditions que je connais depuis deux ans : internement, expulsion dans le Nouveau Monde, trois procès de Moscou, deux fils en danger mortel et la nécessité de lutter contre un monde d’ennemis et contre une opinion mondiale égarée.

Maintenant la situation est tout à fait différente. L’arsenal de l’ennemi est complètement épuisé. La réfutation du premier et du second procès a nécessité presque deux ans, y compris mon travail pour la commission d’enquête, le rapport et mon livre français Les Crimes de Staline. Ce dernier procès n’exige aucune réfutation. Le tournant radical de l’opinion publique est un « fait accompli ». Il n’est plus nécessaire pour moi désormais d’enquêter sur l’existence ou non de l’hôtel Bristol ou de l’avion de Piatakov, etc. Ce que l’opinion publique mondiale veut maintenant comprendre c’est : qui est Staline ? Comment est-il devenu ce qu’il est? Quel est son véritable rapport avec Lénine? Qu’était Lénine lui-même en réalité ? L’opinion publique mondiale passe maintenant d’un imbroglio de sensations à une étude historique et psychologique des ressorts qui ont produit ces sensations. En ce sens, mes centres d’intérêt littéraire et politique coïncident tout à fait avec les intérêts historiques et psychologiques de l’opinion publique mondiale. Je pense que c’est maintenant mon devoir non seulement à l’égard des éditeurs, mais à l’égard de toute personne qui pense, d’expliquer la vérité sur Staline et sur Lénine.

Les deux livres seront naturellement totalement différents dans leur dimension et leur compréhension historique : le livre sur Staline (80000 mots environ) pourrait être écrit en six mois, de sorte qu’il pourrait aller aux presses à l’automne et apparaître avant la Nouvelle Année ou même avant Noël. Le livre sur Lénine demandera au maximum une année : tous les chapitres sont devant moi sous la forme de dossiers avec des citations, des dates, des remarques et même des pages rédigées. Deux chapitres sont presque finis. Telle est la situation. Je ne crois pas que le risque soit très grand pour l’éditeur.