Lettre à Charles Malamuth, 21 octobre 1939

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Les Funérailles de Lénine

Cher Camarade Malamuth,

J’apprécie beaucoup le soin avec lequel vous analysez l’article et ses « réfutations » possibles. La force de mon récit réside dans le fait qu’il correspond à la vérité et qu’il ne peut être controuvé par des arguments. Si quelqu’un essaie de le faire, je démontrerai que c’est un faussaire.

Walter Duranty, qui a écrit ce qu’on lui commandait et pas ce qui lui plaisait, est le dernier qui puisse être capable de contester mon simple énoncé des faits.

1. Je doute que les funérailles aient été reportées de vingt-quatre heures. On peut facilement le vérifier par les journaux de l’époque. Je suis presque certain que les funérailles ont été fixées, dès le début, au dimanche, afin que les ouvriers ne perdent pas un jour de travail. En tout cas, j’étais dans mon train, isolé du monde, fiévreux et sous la terrible oppression de la nouvelle de la mort de Lénine.

2. Si l’on pouvait prouver que Staline a vraiment essayé d’abord de fixer les funérailles au samedi, il ne pouvait l’avoir fait qu’avec un seul objectif : m’empêcher de revenir à temps à Moscou. Mais, sous les objections de différents côtés, il peut avoir été obligé dans cette hypothèse de changer la date. En tout cas, il ne m’a pas télégraphié ce changement.

3. Le communiqué du bureau politique signé de Staline n’a pas soulevé dans mon esprit le moindre doute. J’étais dans le Sud. Je ne me suis pas demandé à quel point les chemins de fer au Nord étaient couverts de neige à cette époque. J’ai pensé que l’information de Moscou à ce sujet était juste.

4. Pour moi, le communiqué signé de Staline était une décision du bureau politique, A plusieurs reprises, nous avons pris des décisions obligeant Lénine à prendre du repos, etc., et il a obéi. Pour chacun de nous, une décision du bureau politique était impérative.

5. Pendant la guerre civile, j’avais à ma disposition deux trains avec deux locomotives. Mais je ne les ai jamais utilisés à des fins personnelles. Je me souviens très bien combien Lénine était gêné, quand il lui fallut aller de Moscou à Leningrad pour l’enterrement de son beau-frère, car il ne voulait même pas une voiture particulière pour y aller.

6. En 1920, quand j’étais aussi commissaire aux communications, j’avais moi-même introduit des règles très strictes pour l’utilisation des voitures particulières, des trains, etc.

7. Obtenir une locomotive particulière, un chasse-neige sur les rails (même si c’était matériellement possible) m’était politiquement et moralement impossible, pour ne pas parler du fait que ç’aurait été agir en opposition directe à la décision du bureau politique.

8. S’il s’était agi de sauver la vie de Lénine, j’aurais naturellement cherché tous les moyens de transport humainement possibles. Mais il s’agissait de ma présence aux funérailles de Lénine, rien de plus. Je n’ai pas accordé une influence transcendentale à ce fait. J’avais entre mes mains la décision du bureau politique et c’était le quatrième mois que, malade, je gardais le lit. Tout cela n’est-il pas une explication suffisante ?

L’affirmation de Duranty que je « boudais » — qui ? Lénine, qui était mort? Les gens qui le pleuraient? — est stupide et basse. Elle démontre seulement de quelle façon Staline, qui était la cause de mon absence, l’a expliquée dans son milieu, y compris à ses laquais journalistes.

Ma femme, qui était avec moi dans le train, se souvient de ces événements de la même façon.

J’envoie une copie de cette lettre à John G. Wright, qui est un excellent expert en recherches et qui, en cas de nécessité, ne refuserait certainement pas de vérifier la question du samedi ou du dimanche dans la Pravda de l’époque. C’est le seul point où je puisse théoriquement me tromper, puisque, pendant ce voyage, je n’avais pas de journaux et que j’aurais à peine été capable de les lire si j’avais pu en avoir. Mais cette circonstance est de troisième ordre pour mon récit, dans la mesure où ce n’est qu’une fois à Soukhoum que j’ai appris la bonne date pour les funérailles. Et comment? J’étais couché sur le balcon sous plusieurs couvertures. J’ai entendu en ville des salves répétées. J’en ai demandé la raison. « C’est l’heure des funérailles de Lénine », me répondit-on. C’était dimanche.

Si nécessaire, le comité de rédaction de Life peut utiliser cette lettre écrite à la hâte. Mais il faudrait absolument prendre contact avec Wright, pour une vérification précise des circonstances exactes concernant la date des funérailles.

P.S. : Mon opinion est de publier l’article tel quel, puis de répondre vigoureusement à quiconque sera suffisamment léger pour l’attaquer.