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Special pages :
Lettre à Bernard Wolfe, 17 janvier 1938
Le Tournant des intellectuels aux Etats-Unis
Cher Camarade Bernie
Votre dernière lettre du 14 décembre ne résonnait pas du tout comme « une communication du royaume des morts ». Au contraire, elle fut pour moi une lecture très vivante et instructive. Que vous n’écriviez pas aussi souvent que vous l’avez promis, ce n’est pas l’exception, mais plutôt la règle. Peu importe : vous écrirez quand vous le trouverez nécessaire.
La partie la plus importante de votre lettre concerne le C.I.O.. Si vous avez plus d’informations en ce domaine, je l’apprécierai.
Que la purge soviétique et le verdict de la commission aient le résultat immédiat de tourner les intellectuels vers le réformisme est presque inévitable. Au fond, les amis de l’U.R.S.S. étaient et sont de misérables opportunistes. C’est par l’opportunisme qu’ils se sont adaptés au stalinisme. Maintenant que le stalinisme est en train de se compromettre, ils en reviennent à leur niveau primitif, c'est-à-dire au trade-unionisme, au libéralisme, au progressivisme petit-bourgeois.
L’ancienne génération, nous pouvons admettre qu’elle est plus ou moins perdue pour nous : même dans nos propres rangs, nousavons eu, avec les plus vieux, plus de trouble que de profit (Sneevliet, Victor Serge, Muste, pour ne pas parler de Walcher, Fenner Brockway et bien d’autres, avec lesquels j’ai essayé d’établir une solidarité politique). Mais je crois que l’effondrement politique et moral du stalinisme ouvre une route libre pour la nouvelle génération. La nouvelle crise économique que même le New York Times a cessé d’appeler une « récession », et la guerre qui approche obligent la nouvelle génération à rechercher une orientation authentiquement révolutionnaire. Naturellement, cela ne concerne pas seulement les intellectuels en premier lieu. Un processus analogue va se dérouler dans les syndicats. Ce qui se passe chez les intellectuels n’est intéressant que dans la mesure où cela reflète des tendances historiques plus profondes.
Je n’ai pas encore reçu le livre de Charles Yale Harrison. Je l attends avec intérêt.