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Lettre à August Bebel, 11-12 décembre 1884
Auteur·e(s) | Friedrich Engels |
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Écriture | 12 décembre 1884 |
Fr. Engels - Préface à la brochure du Volksstaat de 1871-1875. Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.
Cher Bebel,
Voilà quel est le rapport avec ma lettre précédente du 18 novembre[1] :
Parmi les nouveaux élus, j'en connais certains qui renforceront l'aile droite bourgeoise de la fraction parlementaire, en raison de leur éducation et de leur état d'esprit. Étant donné les énormes flatteries que tous les autres partis nous adressent subitement après nos victoires, il ne me paraît pas impossible que ces messieurs se laissent attraper et soient disposés à faire une déclaration, par exemple, du genre de celle que la Gazette de Cologne[2] nous réclame comme condition de l'abolition de la loi anti-socialiste. Or cette déclaration est à peine d'un cheveu plus à droite, en ce qui concerne l'élimination du caractère révolutionnaire du parti, que, par exemple, le discours de Geiser lors des débats sur la loi anti-socialiste que Grillenberger et les siens ont fait imprimer[3]. Ces messieurs les libéraux sont amorphes et se contentent de peu : une petite concession de notre part leur suffirait, et je crains qu'on leur cède. Or, à l'étranger, elle nous discréditerait irrémédiablement. Je sais naturellement que tu n'en feras rien, Mais toi - donc nous - nous aurions pu être débordés par leurs voix. Qui plus est, même un symptôme de scission - dans les discours - nous eût causé un dommage considérable. C'est pourquoi, et c'est pourquoi seulement, j'ai pensé qu'il était de mon devoir de t'apporter mon appui dans une telle éventualité et te donner quelques arguments historiques qui pourraient te servir et rafraîchirait peut-être ta mémoire comme la mienne. Et pour que tu puisses montrer cette lettre, j'en ai éliminé toutes les allusions à ce qui était au fond mon intention.
Je me réjouis plus que quiconque que mes appréhensions soient tombées à l'eau, la force du mouvement ayant même entraîné les éléments bourgeois de notre parti et la fraction parlementaire se tenant à peu près à la hauteur de ses électeurs. Et de fait, j'ai trouvé Singer tout transformé; il est venu me rendre une brève visite dimanche et repassera dimanche prochain. Il commence vraiment à croire (littéralement) qu'il assistera à quelque chose qui ressemble à un bouleversement social. Je veux souhaiter que cela dure et que nos éléments « cultivés » sauront continuer de résister longtemps à la tentation qu'ils ont de montrer aux autres partis qu'ils ne sont pas des ogres.
Je ne me suis jamais trompé sur nos masses prolétariennes. Leur mouvement ferme, confiant dans la victoire, plein d'allant et d'esprit, est exemplaire et sans reproche. Nul prolétariat européen n'aurait subi aussi brillamment l'épreuve de la loi anti-socialiste et répondu à la répression qui dure six ans déjà par une telle démonstration de sa puissance croissante et de son renforcement organisatif; il n'est pas un prolétariat qui eût pu créer l'organisation qu'il a su mettre sur pieds, sans ce bluff propre aux conspirations. Et depuis que j'ai vu les manifestes électoraux de Darmstadt et de Hanovre[4], je ne crains plus du tout qu'il faille faire des concessions là où nos candidats se présentent pour la première fois. Si l'on a pu parler dans ces deux villes sur un ton aussi authentiquement révolutionnaire et prolétarien, alors c'est gagné.
Nous avons le grand avantage que la révolution industrielle batte toujours son plein, alors qu'elle est déjà terminée pour l'essentiel en France et en Angleterre : la division en ville et campagne, en région industrielle et en district agricole est déjà parvenue au point où les changements seront désormais minimes. Depuis leur enfance, les larges masses y vivent dans des rapports qui continueront d'être les leurs par la suite : ils s'y sont faits, même les fluctuations et les crises sont devenues pour elles quelque chose allant pour ainsi dire de soi. Il y a, en outre, le souvenir des tentatives de soulèvement du passé, et leur échec. Chez nous, en revanche, tout bouge encore. Les vestiges de la production paysanne traditionnelle satisfaisant ses propres besoins en produits industriels sont évincés dans certaines régions par l'industrie domestique capitaliste, alors que dans d'autres cette dernière est déjà supplantée par le machinisme en plein essor. Et c'est précisément la nature même de notre industrie, née bonne dernière qui se traîne encore loin derrière celle des autres, qui exige un bouleversement social aussi radical en Allemagne. Étant donné que le marché est déjà encombré d'articles fabriqués massivement, tant pour les besoins courants que pour le luxe, par l'Angleterre et la France, il ne reste le plus souvent pour notre industrie d'exportation que de menus objets pouvant être consommés en grandes quantités et fabriqués, d'abord par l'industrie domestique, puis plus tard, lorsque la production est devenue massive, par les machines aussi. C'est ce qui explique que l'industrie domestique (capitaliste) s'implante dans des secteurs aussi vastes et déblaie le terrain de manière aussi radicale. Abstraction faite des provinces prussiennes à l'est de l'Elbe, donc la Prusse orientale et occidentale, la Poméranie, la Posnanie et la plus grande partie du Brandebourg, et en outre la vieille Bavière, il y a peu de régions où le paysan ne soit pas intégré de plus en plus dans l'industrie domestique. La zone ainsi révolutionnée par l'industrie est donc bien plus grande chez nous que partout ailleurs.
De plus, comme le travailleur exerce d'abord son industrie à domicile, il s'adonne le plus souvent encore à quelques travaux des champs et il est possible de comprimer son salaire plus que partout ailleurs. Ce qui faisait jadis le bonheur du petit producteur - la combinaison de l'agriculture et de l'industrie - se transforme maintenant en moyen le plus puissant pour l'exploitation capitaliste. Le champ de pommes de terre, la vache, le jardin et le verger, tout cela lui permet de vendre au-dessous de son prix la force de travail. C'est inévitable, parce que l'ouvrier est lié à la glèbe, qui ne le nourrit qu'en partie. Dans ces conditions, l'industrie allemande est en mesure de travailler pour l'exportation, en faisant le plus souvent cadeau à l'acheteur de toute la plus-value, tandis que le profit du capitaliste consiste en une déduction du salaire normal. C'est ce qui se produit peu ou prou dans toute l'industrie domestique rurale, mais nulle part dans des proportions aussi grandes que chez nous.
À cela il faut ajouter que ce bouleversement industriel, amorcé par la révolution de 1848 avec les succès bourgeois, si faibles qu'ils aient été, a été considérablement accéléré : 1º par l'élimination de tous les obstacles intérieurs en 1866-1870, et 2º par les milliards français qui ont trouvé, en fin de compte, un placement capitaliste. Ainsi nous en sommes arrivés à un bouleversement industriel plus radical et profond, plus vaste dans l'espace, donc plus systématique que dans n'importe quel autre pays, et cela s'effectue avec un prolétariat absolument frais et ingénu, qu'aucun échec n'a encore troublé ni démoralisé et qui, grâce à Marx comprend les causes du développement économique et politique, et saisit mieux que tous ses ancêres de classe les conditions de la révolution qui l'attend. C'est ce qui nous impose aussi le devoir de vaincre.
En ce qui concerne la démocratie pure et son rôle à l'avenir, je ne suis pas de ton avis. Il est dans l'ordre des choses qu'elle jouera un rôle bien inférieur en Allemagne que dans les pays de développement industriel plus ancien. Mais cela ne l'empêche pas qu'au moment de la révolution, elle prendra une importance momentanée sous la forme d'un parti bourgeois extrême, jouant le même rôle qu'à Francfort en 1848, lorsqu'elle fut la dernière planche de salut de toute l'économie bourgeoise et même féodale. Dans un tel moment, toute la masse réactionnaire se tiendra derrière elle et lui donnera une force accrue - tout ce qui est réactionnaire se donne alors des airs démocratiques. C'est ainsi que toute la masse féodale bureaucratique, dans la période de mars à septembre 1848, a soutenu les libéraux pour endiguer les masses révolutionnaires et, ce résultat obtenu, les libéraux furent naturellement chassés à coups de pied aux fesses. De même, de mai 1848 à l'élection de Bonaparte en décembre, le parti républicain pur du National, le plus faible de tous les partis, a régné en France, simplement parce que toute la réaction s'était rassemblée et organisée derrière lui. C'est ce qui s'est produit à chaque révolution : le parti le plus souple et le plus mou, celui qui est encore en état de prendre le pouvoir entre ses mains, prend les rênes de l'État, précisément parce que, les vaincus y voient leur dernier espoir de salut.
Or donc, on ne peut escompter qu'au moment de la révolution nous ayons derrière nous la majorité des électeurs, c’est-à-dire la nation. Toute la classe bourgeoise ainsi que les vestiges des classes possédantes de la féodalité, une grande partie de la petite bourgeoisie et de la population rurale se masseront alors derrière le parti bourgeois extrême qui sera en paroles le plus révolutionnaire, et j'estime qu'il est parfaitement possible qu'il soit représenté au gouvernement provisoire, et qu'il y constitue même momentanément la majorité. Ce que nous devons alors éviter c'est d'agir comme l'a fait la minorité sociale-démocrate qui a participé au gouvernement de février 1848[5]. Mais pour l'heure, c'est encore pour nous une hypothèse théorique.
Cependant les événements peuvent prendre en Allemagne un tour un, peu différent pour des raisons d'ordre militaire. Dans l'état actuel des choses, l'impulsion extérieure ne saurait venir que de la Russie. Si ce n'était pas le cas, l'impulsion viendrait de l'Allemagne elle-même, et alors la révolution ne pourra éclater qu'à partir de l'armée. De nos jours, un peuple désarmé est une grandeur tout à fait négligeable du point de vue militaire en face d'une armée moderne. En l'occurrence, au cas où notre réserve âgée de vingt à vingt-cinq ans qui ne vote pas encore, mais qui est entraînée dans l'art militaire, entrait en action, il serait possible de sauter la phase de la démocratie pure. Mais cette question est également théorique pour l'instant, bien que je sois obligé, comme représentant du haut état-major du parti, d'envisager cette hypothèse, et ne pas l'écarter. Quoi qu'il en soit, le jour de la crise et le lendemain, notre seul adversaire, ce sera la masse réactionnaire regroupée autour de la démocratie pure - et c'est ce qu'il ne faut pas, à mon avis, perdre de vue.
Lorsque vous déposerez des propositions au Reichstag, il en est une que vous ne devrez pas oublier. En général, les domaines de l'État sont loués à de grands fermiers, plus rarement ils sont vendus aux paysans, mais leur parcelle est si petite que ces nouveaux propriétaires doivent se louer aux grandes fermes comme journaliers. Il faudrait demander que l'on afferme les grandes terres encore indivises de l'État à des associations d'ouvriers agricoles en vue de leur exploitation collective et coopérative. L'Empire allemand ne possédant pas de terres[6], cela servira de prétexte pour rejeter cette proposition. Mais je pense qu'il faut jeter ce brandon parmi les ouvriers agricoles - et l'occasion s'en présentera certainement à plusieurs reprises lors des fréquents débats sur le socialisme d'État[7]. C'est ainsi, et ainsi seulement, que l'on pourra gagner les ouvriers de la terre. C'est la meilleure méthode pour leur faire comprendre qu'ils devront un jour gérer ensemble pour leur compte collectif les grands domaines de leurs gracieux maîtres et seigneurs actuels. Et de la sorte vous ferez passer à l'ami Bismarck l'envie de vous réclamer des propositions constructives. Meilleures salutations.
Votre
F.E.
- ↑ Note de R. Dangeville : Nous avons placé cette lettre du 18 novembre 1884, à laquelle Engels fait allusion ici afin de préciser le rapport - entre les deux, dans le dernier chapitre de notre recueil consacré à la violence et la question agraire. En effet, cette lettre devait fournir à Bebel l'argumentation qu'il devait développer au Reichstag sur la conception marxiste de la violence et de la légalité. Nous n'avons séparé ces deux lettres que pour des raisons d'ordre logique. Il y a également un lien étroit entre les questions agraires et la question parlementaire : dans la stratégie à développer dans la social-démocratie, la position vis-à-vis des masses paysannes d'Allemagne orientale assujetties aux hobereaux, qui constituent le pilier de la réaction dans l'État existant, déterminera tout le cours ultérieur, non seulement de la social-démocratie, mais encore de l'Allemagne. Selon que le parti s'engagera dans une pratique révolutionnaire pour agiter et gagner ces masses ou qu'il adoptera un programme petit-bourgeois en faveur du système d'agriculture parcellaire de petite propriété privée des autres régions et abandonnera lés paysans d'Allemagne de l'Est à leurs exploiteurs, il sera un parti révolutionnaire ou deviendra un parti de conservation sociale, opportuniste et réformiste.
- ↑ Dans ses éditoriaux des 4, 6 et 8 novembre consacrés aux élections, la Kölnische Zeitung révéla que le parti national-libéral s'opposerait au renouvellement de la loi anti-socialiste, si la social-démocratie allemande renonçait à modifier par la force l'ordre constitutionnel établi.
- ↑ Lors des débats sur le renouvellement de la loi anti-socialiste, le 10 niai 1884, le député social-démocrate Bruno Geiser, se faisant le porte-parole de l'aile petite-bourgeoise, assurait le Reichstag de ce que le caractère révolutionnaire de l'agitation sociale-démocrate avait été provoqué par la loi d'exception : « Nous souhaiterions que vous abrogiez la loi anti-socialiste; vous ouvririez alors la voie d'un développement pacifique. » Geiser expliqua que, par « révolution », il entendait la même chose que ce que Bismarck avait proclamé dans son discours du 9 mai 1884 sur « le droit du travail », qui est une manifestation de la révolution en cours :[sic]
Le 24 mars 1884, Bebel fit cette mise au point : « Certes, ce que le gouvernement veut est clair et simple : il veut que nous formions le chœur inconditionnel de sa réforme sociale. Voici ce que je lis dans les considérants de votre projet de loi : si vous êtes contre les réformes sociales du gouvernement, la loi anti-socialiste. sera prorogée, et si vous êtes pour, elle sera abrogée. Messieurs, nous ne vendons pas nos principes, même si vous prolongez dix fois votre loi. » Dans le même discours, Bebel disait encore : « Je. constate expressément que nulle part en Allemagne le parti est mieux organisé que dans les districts où l'état de siège a été décrété, que dans toute l'Allemagne le parti ne trouve nulle part plus de moyens que dans les districts où l'état de siège a été décrété... A côté des agitateurs publics que vous vous plaisez à appeler des agitateurs professionnels, il existe dans le vaste Empire allemand des centaines et des milliers de simples ouvriers que personne ne connaît et que nous-mêmes nous ne connaissons que par hasard si nous les connaissons jamais, qui se consacrent avec un zèle infatigable à l'activité de diffusion des écrits interdits, etc. »
Les discours de Geiser et de Bebel furent publiés sous le titre « Extraits des débats sur la prolongation de la loi socialiste » par l'éditeur C. Grillenberger à Nuremberg en 1884.
On voit de manière tangible par cette publication où apparaissent côte à côte le socialiste révolutionnaire et le socialiste d'État bismarckien que le parti social-démocrate , créé à Gotha par la conjonction de deux courants distincts, voire antagoniques, celui de Lassalle et de Schweitzer qui collaborait avec Bismarck et celui de Liebknecht et de Bebel qui se rattachait à la Première Internationale de Marx, gardait sa dualité, dangereuse surtout pour l'aile révolutionnaire, puisque celle-ci tolérait d'être dans le même parti que des traîtres à leur cause, c’est-à-dire étaient eux-mêmes finalement partisans du compromis, eux les radicaux ! - ↑ Lors des élections de ballottage de Darmstadt en novembre 1884, le candidat social-démocrate P.H. Müller répondit aux objections des nationaux-libéraux dans un tract (que reproduisit le Sozialdemokrat du 14-11-1884 dans sa rubrique « Bien répondu ! »). Il y expliquait les raisons pour lesquelles des millions d'Allemands étaient en faveur de la République et étayait sa défense de la Commune de Paris et de la révolution par des faits de caractère historique. Jules Guesde cita la déclaration de Müller dans son éditorial « Nouvelle victoire » dans le Cri du peuple du 18-11-1884.
Un tract distribué à Hanovre à l'occasion de ces mêmes élections disait que la « réaction était devenue puissante à cause de la misérable lâcheté et du manque de caractère des nationaux-libéraux », qui ne se distinguaient des conservateurs que par le fait que les « conservateurs étaient à genoux devant Bismarck dont ils ciraient les bottes de cuirassier, alors que les nationaux-libéraux étaient à plat ventre ». - ↑ La prophétie d'Engels s'est vérifiée exactement air cours de la révolution qui devait immanquablement, éclater en Allemagne - en 1918, lorsque l'Empereur fut renversé pour mettre fin au carnage impérialiste, qui n'eût eu de terme autrement. Ce fut le parti social-démocrate lui-même, qui joua le rôle de parti de la démocratie pure - auquel les partis soi-disant communiste et socialiste d'aujourd'hui aspirent avec tant de ferveur - et devint le bourreau de la révolution, en liquidant lâchement Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. Citant la prévision d'Engels, le parti communiste d'Allemagne publia à ce sujet une brochure en 1920 : Karl Marx und Fr. Engels, über die Diktatur des Proletariats, nebst Aus - führungen über die taktische Haltung der Kommunisten bei : 1. einer Revolution in der die « reine Demokratie » die 0berhand gewinnt; 2. die Proklamation der Diktatur des Proletariats, Bücherei « Der Rote Hahn », Berlin 1920, 39 p. Cf. également en français une collection de textes intitulée Le Testament politique de F. Engels, in : La Revue marxiste, 1929, pp. 385 - 397.
Dans une lettre à P. Lafargue de la mi-décembre 1884, Engels avait, à la même époque déjà, développé les principes « léninistes » qui triomphèrent de la guerre mondiale de 1914-18 et forment la base dé toute la tactique prolétarienne - défense puis offensive - en matière militaire : « En Allemagne, nous avons beaucoup trop peu de soldats et de sous-officiers appartenant au parti pour qu'on puisse, avec la moindre chance de succès, prêcher une émeute. Ils savent que c'est dans les rangs de l'armée elle-même que doit gagner la DËMORALISATION (au point de vue bourgeois); les conditions militaires modernes (armes à tir rapide, etc.) exigent que la révolution commence dans l'armée. Chez nous, du moins, elle débutera ainsi. Personne mieux que le gouvernement ne sait combien le nombre de conscrits socialistes grandit d'année en année. Notre suffrage universel ne commence qu'à 25 ans; si la grande réserve de 21 à 25 ans ne figure pas au vote, elle se trouve dans l'armée », cf. Correspondance, tome III, 1868-1886, p. 258. - ↑ L'agitation parmi les paysans de l'Est de l'Allemagne était, à côté du soutien des grèves des ouvriers, la seule manifestation active de la lutte de classes au niveau des masses que la social-démocratie allemande pouvait entreprendre durant la longue période de développement pacifique et idyllique du capitalisme. C'est donc là, en quelque sorte, la pierre de touche de l'action et de la pratique de la social-démocratie allemande. En ce qui concerne, par exemple, la grève des mineurs de la Ruhr, la défaillance de la social-démocratie fut pratiquement complète, comme on le verra. En ce qui concerne l'agitation parmi la paysannerie des grands domaines de l'Allemagne orientale qui eût sapé l'ordre et la base des forces les plus réactionnaires de l'État allemand, on peut dire que la défaillance a été encore plus complète, puisque la direction du parti ne prit même pas sur le papier la direction révolutionnaire qu'exigeait la situation et le programme de classe, mais s'engagea d'emblée dans une politique agraire petite-bourgeoise.
La question agraire fut décisive : la révolution allemande devait vaincre ou être battue selon que la paysannerie des provinces orientales soutenait le prolétariat industriel ou restait l'instrument inconscient de la réaction prussienne. Les élections de 1890 qui devaient fournir le bilan de la pénétration socialiste en Prusse orientale, montrèrent que les masses paysannes étaient toutes disposées à passer au socialisme : cf. la lettre d'Engels à Sorge du 12-4-1890. Ce n'est pas le programme agraire adopté au congrès de Francfort par la social-démocratie qui devait inciter les paysans des provinces de l'Est à lui faire confiance. Il eût fallu prendre vis-à-vis des paysans (qui ne demandaient que cela) une position révolutionnaire, en théorie comme en pratique, contre la grande et là petite propriété rurale. - ↑ Cf. les textes de Marx-Engels à ce sujet dans Le Parti de classe, tome III, pp. 149-152, 161-164. En ce qui concerne l'effet des coopératives de production, cf. Marx-Engels, Le Syndicalisme, I, pp. 100-111.