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Lettre à Anton Grylewicz, 21 mai 1930. Reprenez votre démission !
Cher Camarade Grylewicz,
Dans votre lettre du 17 mai, vous faites référence aux circulaires du camarade Landau (qui me sont inconnues) et vous partez de l'hypothèse totalement fausse selon laquelle mon appréciation de la situation à Berlin serait influencée par ces circulaires du camarade Landau - dont j'ai déjà dit qu'elles m'étaient totalement inconnues - ainsi que par le rapport des camarades Naville et Shachtman. Bien sur, la lettre de ces deux camarades a été pour moi très importante, mais seulement dans la mesure où elle venait confirmer les impressions qui avaient été les miennes au fil des mois. Je veux vous parler très franchement, camarade Grylewicz. Si quelque chose témoigne contre votre attitude, et plus particulièrement contre celle du camarade Neumann - sans même parler de Joko -, ce ne sont pas les circulaires du camarade Landau mais bien vos propres lettres. Durant ces derniers mois, je n'ai reçu du camarade Neumann qu'une seule lettre plus ou moins politique - et c'était bien la première. Cette lettre avait suscité de ma part un grand intérêt et de la sympathie pour le camarade Neumann, que je considérais comme un camarade dont on peut attendre des initiatives politiques et du dynamisme. Hélas, je n'ai depuis lors reçu du camarade Neumann que des plaintes contre les particularités psychiques du camarade Landau. Et je constate à mon très grand regret que vous aussi, camarade Grylewicz, vous prenez ce même chemin. En politique, on ne juge pas un individu par l'analyse spectrale de ses particularités psychiques, mais à travers ses activités politiques, ses faits et gestes, ses discours, ses écrits, ses lettres etc. et ce sont des activités de ce genre qui ont emporté la conviction des camarades français en faveur du camarade Landau: Il écrit des articles pour La Vérité et La Lutte de Classes, s'occupe de problèmes politiques, et il peut bien, ce faisant, avoir commis des erreurs. Il reste qu'il a fait preuve d'intérêt politique et d'une volonté de combattre que l'on ne peut feindre, cher camarade. Si, comme vous l'estimez, il avait au contraire tenté d'influencer les camarades étrangers par des lettres diffamatoires, cela aurait amené un résultat inverse, en tout cas en ce qui me concerne.
Ce sont surtout les accusations sans cesse formulées par Neumann d'"ambition personnelle maladive" qui me fait l'impression la plus lamentable. Les camarades de Wedding sont d'aussi bons militants que ceux qui ont scissionné du Leninbund. En tout cas, je ne vois absolument aucune raison de les considérer comme des camarades de second ordre. Or ces camarades sont prêts à collaborer avec le camarade Landau et certains camarades de votre groupe le sont aussi. Je suis donc bien obligé d'en conclure que les aspects personnels se situent chez vous.
Vous avez démissionné de la direction sans la moindre justification politique. C'est en soi déjà inouï; si vous pouvez faire dépendre votre sort de l'ambition "maladive" d'un tiers, ce n'est pas ce tiers, mais bien vous-même que vous mettez de la sorte en mauvaise posture. Si le camarade Landau ne possède rien d'autre en lui qu'une ambition maladive, alors vous auriez dû tranquillement rester à la direction pour "ouvrir les yeux" aux autres, sur la base des faits. Au lieu de cela, vous avez pris la fuite. La raison ? Toujours psychologique!: "pour me libérer du contact étroit avec Landau". Cela parle absolument contre vous. Pas un seul argument politique! Avant la fusion, vous avez présenté la question syndicale comme un obstacle insurmontable. Sur la question syndicale, les camarades de Wedding ont ouvertement et de façon sincère, fait un pas important. Vous devriez vous en réjouir! Mais vous me donnez l'impression que c'est justement ce pas qui vous gêne et vous occasionne des difficultés. Ce n'est qu'en réponse à ma demande d'explications sur les raisons d'un acte aussi lourd de conséquences que la scission de l'organisation que vous déclarez maintenant vouloir "faire éclater, les indéniables divergences politiques existantes". Scissionner d'abord une organisation - et dans les conditions actuelles, votre démarche n'est rien d'autre qu'une tentative de scission - et ensuite seulement faire éclater les divergences, cela parle absolument en votre défaveur. En France, Paz a fait à peu près la même chose. Il s'est d'abord mis lui-même sur la touche, en accusant les autres d'"ambition", etc. et c'est alors qu'il a commencé à faire éclater "les indéniables divergences politiques existantes". Ce comportement sans principes l'a mené dans une impasse, il s'est emmêlé dans ses propres contradictions pour subir finalement un inévitable fiasco. Cher camarade Grylewicz, si voulez persister dans la voie dans laquelle vous vous êtes engagé, je crains fort que vous ne subissiez le même sort.
Cette lettre est d'ordre strictement personnel. Je n'en envoie même pas copie au secrétariat international. L'affaire se développera dans le cadre officiel. Mais je vous donne ce conseil sincère et amical, à vous personnellement, camarade Grylewicz: jetez aux ordures tout ce bric-à-brac psychanalytique et faites face à la situation de façon prolétarienne et révolutionnaire, c'est-à-dire en réintégrant la direction, en restant à votre poste, et en accomplissant votre devoir et, si Landau fait des bêtises, en le combattant objectivement et vigoureusement, c'est-à-dire de façon prolétarienne et révolutionnaire, devant tous les autres et sur la base des faits et expériences. Il n'y a pas d'autre voie. C'est la seule!