Lettre à Andreu Nin, 13 août 1936

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Mon cher Andrès,

  1. Pierre Schavitz et Boul sont deux camarades d'ici que je te recommande infiniment.
  2. S'ils ne te trouvaient pas, je leur conseille de s'adresser de ma part à Gorkin ou Andrade ou enfin à tous autres camarades du P.O.U.M., ceci pouvant leur servir de lettre d'introduction.
  3. Je ne peux pas voyager facilement en ce moment, étant mis hors la nationalité soviétique par les bureaucrates staliniens, qui d'ailleurs font traîner en longueur même la déclaration officielle de ce fait, pour m'empêcher évidemment d'obtenir des papiers accordant quelque liberté de mouvement. J'espère néanmoins en obtenir sous peu. Quoi qu'il en soit, je me tiens à l'entière disposition des camarades de votre organisation pour toute tâche ou mission, ici ou là, et suis prêt si vous estimez ma présence utile chez vous à faire le voyage (en ce cas il faudrait des autorités espagnoles un sauf-conduit).
  4. Très alarmé par les différents entre marxistes et anarchistes dont les journaux ont parlé, sachant ce que ces différends ont coûté à la révolution russe, je me permets de vous recommander à cet égard une attitude nouvelle, tranchant hardiment avec les anciennes positions des social-démocrates et des staliniens. Mon avis est qu'il y aurait lieu de notifier hautement, publiquement aux anarchistes et syndicalistes, que:
  • si nous acceptons la responsabilité morale des mesures de salut public prises autrefois par les bolcheviks russes dans le camp retranché de la révolution contre les dissidents anarchistes et autres, dont les interventions armées créaient un péril intérieur évident, nous condamnons d'autant plus vigoureusement la politique de l'Etat-prison stalinien, qui refuse aux tendances diverses du mouvement ouvrier le droit à l'existence, le droit à l'expression et supprime ainsi toute démocratie ouvrière;
  • Nous prenons l'engagement de défendre avec les syndicalistes et les anarchistes la liberté de pensée et de parole, la démocratie ouvrière dans la révolution, considérant que ces libertés seules peuvent assurer, dans des institutions saines, la ferme discipline dans le combat et dans la production dont nous sommes les partisans résolus;
  • Décidés à soumettre sans cesse la théorie et la pratique des camarades anarchistes et syndicalistes à une critique sévère - comme doit l'être la critique entre révolutionnaires - nous n'oublions et n'oublierons jamais que ces camarades sont nos frères de classe et que nos profondes divergences de vues doivent être non l'occasion de dissensions et de déchirements dangereux au sein de la révolution, mais celle d'une émulation féconde au service de la révolution.

Je pense que ni les socialistes ni les staliniens ne peuvent tenir ce langage, qui marquerait un grand et utile changement de tactique de la part des marxistes révolutionnaires. Salut fraternel à tous. Amicale poignée de main.

Victor.