Lettre à Alfred Rosmer, 30 mars 1938

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


Les premiers Succès

Cher Ami,

Nous avons reçu votre lettre du 10 mars, avec toutes les lettres jointes. Nous vous remercions bien chaleureusement, ainsi que les camarades qui ont participé à cet envoi. Il n’est pas nécessaire de vous dire que nous restons toujours, surtout Natalia, sous le poids de ce terrible coup, le plus grand coup personnel de notre vie. Les distances sont si grandes et les échos de ce qui se passe à Paris arrivent avec un tel retard que nous passons maintenant par les funérailles, etc. Il y a deux semaines que Natalia a reçu par retour la lettre recommandée qu’elle avait envoyée à Liova. Elle avait passé deux jours à écrire cette lettre et se réjouissait d’avance à l’idée d’en recevoir la réponse.

Vous avez dû recevoir depuis quelques semaines le câble et la lettre par lesquels nous vous avons prié de bien vouloir prendre sur vous la responsabilité d’arranger la question des documents, surtout de ceux qui peuvent être utiles ou même nécessaires pour la réfutation des accusations de Moscou. Je me représente bien la situation délicate où vous vous trouvez, étant donné surtout l’état d’extrême nervosité de Jeanne1 2. Ses lettres sont de vrais cris de désespoir, et des cris sur quinze ou vingt pages. Bien des gens se sont faits des idées tout à fait fausses à ce sujet. Le fanatisme de clique est précisément le complément négatif de sa passion pour Léon. Natalia le savait depuis toujours. Moi, je l’ai bien compris maintenant pour la première fois... Elle peut bien faire quelques difficultés avec les archives, mais j’espère qu’avec la fermeté tranquille et calme dont vous possédez le secret, vous saurez arranger l’affaire. Si le travail à Paris ne commence pas et si on n’a pas besoin immédiatement des documents, on peut ajourner pour quelques semaines une décision, c’est-à-dire les mesures à pratiques. Dans quelques semaines arrivera à Paris une amie pour le transport des documents. En tout cas, vous restez, cher ami, notre représentant, de Natalia et de moi, en ce qui concerne l’enquête judiciaire aussi bien que les documents. Vous avez toujours notre confiance pour entreprendre toutes mesures utiles ou nécessaires. Nous avons indiqué comme vos collaborateurs Gérard, Rous, Praux, pour vous décharger des courses, entrevues purement pratiques, etc. Toutes ces dispositions restent en vigueur.

Ici, on a pris des mesures de précaution extraordinaires. Les amis américains d’un côté, Diego Rivera de l’autre, font des sacrifices sans nombre. Si les assassins tentent maintenant leur chance, ils trouveront à qui parler. Le dernier procès a été une véritable catastrophe pour Staline. La déclaration de Roosevelt, il y a trois jours, est l’acte le plus terrifiant pour les faussaires. Le but suprême du procès était de rendre impossible mon séjour en Amérique, et voilà que Roosevelt déclare que la porte des États- Unis est ouverte aux « trotskystes russes ». Le fait qu’il n’a pas parlé des persécutés en général, mais des « trotskystes », démontre que c’est un coup bien « prémédité ». La presse américaine, comme la presse mexicaine, était tout à fait contre Staline. Le Times, comme nombre d’autres journaux, a même publié une série d’articles de moi sur le procès, sans compter de nombreux statements à toute la presse. J’attribue le résultat accablant pour le G.P.U. au moins pour 60 % au travail de la commission d’enquête. Son verdict a bien préparé les esprits au nouveau procès.

Le pauvre Léon n’a pas pu voir ces premiers succès. Dans sa vie politique, qui ne fut d’ailleurs pas si courte, à peu près seize ans, il n’a passé que par des défaites et des coups terribles. Et maintenant, on peut dire avec assurance qu’une nouvelle ère approche. Aux États-Unis, nos amis sont pleins d’optimisme. Les stalinistes sont déjà entrés dans le stade de la désagrégation. Il y a un courant de jeunes vers nous. Les intellectuels se détournent des stalinistes. La plupart retombent dans l’indifférence petite- bourgeoise. Les meilleurs éléments se tournent vers nous (Partisan Review, par exemple).