Lettre à Alfred Rosmer, 25 mai 1937

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


Coyoacán, le 25 mai 1937

Cher ami,

On se réjouit beaucoup id de votre arrivée à New York, d’autant plus qu’il y a quelques semaines les nouvelles de votre santé étaient loin d’être favorables.

Inutile de vous dire que je trouve extrêmement souhaitable aussi l’accélération des travaux de la Commission. Mais, étant « partie intéressée », je ne puis intervenir ni directement ni indirectement dans cette question délicate. D’un autre côté, on ne peut pas négliger l’état de l’opinion publique, celle des organisations ouvrières y comprise : on hésite, on est mécontent, mais on se dit qu’il doit tout de même y avoir quelque chose. En somme, l’opinion publique est profondément méfiante envers les deux côtés (en tout cas avec un avantage croissant en notre faveur). Dans une telle situation il y a un certain danger pour la Commission à aller trop vite, à se détacher de l’évolution de l’opinion publique et à aboutir à la conclusion définitive avant que le monde extérieur ait eu la possibilité d’absorber le déroulement de l’investigation. Trois ou quatre étages semblent ainsi inévitables, comme des classes à l’école primaire. Naturellement il ne faut pas trop tarder dans chaque classe. En somme, je trouve tout à fait salutaire votre pression dans le sens de l’accélération et j’espère en même temps que la résultante des deux tendances correspondra à l’état de l’opinion publique mondiale.

Il ne m’est d’ailleurs pas clair comment l’investigation se présente en Europe. Je ne connais que la Commission de Paris, dont la composition me paraît très imposante. Mais est-ce que cette Commission va fonctionner aussi pour les cas de Copenhague et d’Oslo, c’est-à-dire, est-ce que la Commission de Paris va créer deux commissions rogatoires pour la Scandinavie ou est-ce qu’on envisage deux nouvelles commissions soumises à New York ? La première version me paraît, de beaucoup, plus raisonnable, car c’est la seule possibilité d’accélérer la vérification en Europe et de rapprocher ainsi la convocation de la Commission internationale. C’est sur ce point, me semble-t-il, qu’il faut surtout concentrer l’attention en encourageant le travail rapide de la Commission de Paris par un câble explicatif et détaillé. Quant au nouveau « procès », c’est-à-dire l’assassinat des 43 « espions trotskystes », je crois qu’il n’y a même pas eu un simulacre de procès. On a agi comme on avait agi immédiatement après l’assassinat de Kirov, c’est-à-dire on a fusillé sommairement. On peut bien supposer que, parmi ces 43 hommes, il y avait vraiment un quarteron d’espions japonais, qui n’ont naturellement rien à voir avec le trotskysme, une douzaine de trotskystes qui n’ont, bien entendu, rien à voir avec l’espionnage et aussi quelques agents louches de la G.P.U. qui avaient amalgamé le procès et dont on a voulu se débarrasser.

Il est triste que l’investigation vienne si tard pour ces nouvelles exécutions. D’un autre côté, on ne peut pas brûler les étapes, pour ne pas compromettre l’investigation tout entière. Mais, je le répète, je suis tout à fait d’accord avec vous sur la nécessité d’accélérer la procédure. Tout cela à titre privé, car je ne veux nullement sortir des cadres de ma situation de « témoin » et de « partie intéressée ».

Combien de temps comptez-vous rester à New York ? Pourriez-vous, pendant l’intervalle, venir ici ? Inutile de vous dire que Natalia, moi-même et les jeunes serions très heureux de vous avoir chez nous pendant quelque temps. Malheureusement la distance est plus grande que de Paris à Oslo et, peut-être, à Prinkipo.

Je m’empresse de vous envoyer cette lettre par avion ; il faut la terminer avant midi. C’est pourquoi je ne vous réponds que bien brièvement.