Lettre à Alfred Rosmer, 13 septembre 1937

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Coyoacán, le 13 septembre 1937

Cher ami,

Natalia et moi, nous sommes péniblement frappés par votre dernière lettre : vous vous portez mal, vous n’êtes pas très satisfait du temps passé à New York. Vraiment, c’est triplement triste. Nous avions cru que, à part la joie de nous retrouver encore une fois ensemble pendant quelques semaines, vous pourriez profiter peut-être de l’altitude de Mexico : je crois que l’altitude vous fait toujours du bien. Il faut maintenant renoncer à tout cela. C’est juste que New York est moins près de Mexico qu’il n’apparaît de Paris, mais, hélas ! Paris est encore plus loin. J’espère au moins que la semaine de repos complet sur le bateau vous aidera à rétablir l’équilibre physique avant votre arrivée en France. Pas nécessaire de vous dire que la tristesse de Natalia est maintenant égale à la joie qu’elle avait éprouvée en pensant revoir Marguerite et vous chez nous.

Je vous envoie ci-inclus la copie de mes lettres à Goldman et à LaFollette. Il s’agit dans les deux du plan de Wendelin Thomas de se servir de la falsification de Staline pour condamner le bolchevisme. Je ne crois pas qu’on puisse s’imaginer quelque chose de plus ignoble. Thomas a l’honneur de participer à la Commission exclusivement grâce au fait que Zinoviev et Kaménev ont été fusillés, que moi je suis calomnié, etc., etc. Or il veut se servir de cette occasion pour condamner la conception politique des fusillés et des calomniés. J’espère que non seulement la Commission va rejeter à l’écrasante majorité sa proposition, mais qu’elle va lui refuser de l’inscrire dans le procès-verbal, comme elle a refusé de me transmettre officiellement sa lettre et comme elle m’a recommandé de lui répondre en privé, si je le trouvais nécessaire.

D’ici ne va que Zamora (il est parti samedi). Malheureusement il ne parle aucune langue étrangère, quoiqu’il comprenne le français et, je crois, aussi l’anglais. On le considère comme le meilleur marxiste du pays et comme un homme très honnête. J’espère qu’on trouvera quelqu’un connaissant l’espagnol pour le familiariser avec l’investigation. Il est un journaliste renommé de El Universal, un des journaux les plus importants du Mexique. Quant au général Villareal, il semble qu’il n’a pu aller pour des raisons personnelles. On a proposé aussi un mandat au président de l’association des avocats socialistes. Il avait bien envie d’aller, mais les avocats stalinistes l’en ont empêché. Je communique tout cela pour le cas où l’on dirait que le choix fut partial ou unilatéral.

C’est au moins une consolation, et pas des moindres, que vous ayez eu la possibilité d’observer le nouveau chapitre du mouvement ouvrier aux États-Unis. Il est bien possible que le centre de gravité du mouvement révolutionnaire se déplace de ce côté-ci de l’océan Atlantique. Vous pourrez au moins suivre et interpréter l’évolution américaine en pleine connaissance de cause.

Natalia et moi, nous vous envoyons nos amitiés les plus chaleureuses. Ne pourrait-on pas avoir une de vos dernières photos, et si possible, de Marguerite aussi ? C’est surtout Natalia qui le demande.