Lettre à Albert Glotzer (?), 1er mai 1932

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Cher Camarade [...?],

Je n'ai hélas pas encore eu le temps d'étudier avec précision les documents que j'ai reçus à propos du conflit américain. En tout état de cause, je rattraperai cela dans les semaines qui viennent. Mais il y a une chose que je voudrais vous faire remarquer dès l'abord : les documents programmatiques et tactiques sont certes fort importants, mais moins à mes yeux que certaines façons d'agir à l'épreuve des faits. Les comportements du camarade Shachtman me paraissent fort étranges et je ne peux considérer le conflit américain et les questions internationales comme deux choses totalement distinctes.

Le camarade Shachtman croit pouvoir soutenir partout les tendances que je considère comme erronées et néfastes, et, en même temps, me calmer avec de grandes phrases générales. Voilà deux ans qu'il soutient Naville et Landau avec détermination et obstination, sans toutefois le faire ouvertement, comme il conviendrait à un révolutionnaire dans les questions politiques. Dans sa dernière lettre, il nie avoir soutenu Naville et Landau, ce qui est d'un effet déplorable. Dans le même temps, il cache à la Ligue française son attitude envers l'Opposition allemande, de même que sa fraternisation avec Mill, Félix et Lacroix. Pour autant que je sache, le camarade Shachtman est au courant des lettres incroyables du camarade Lacroix, qui se réclame du camarade Shachtman, et ce n'est pas la première fois. Mais Shachtman n'en souffle mot. De plus, ** m'écrit (c'est d'ailleurs le seul fait de seconde main que je mentionne, tous les autres m'étant connus par ma propre expérience) que, selon une déclaration de Nin, j'aurais ourdi une campagne contre Shachtman. Mais concernant l'attitude de Shachtman, je n'ai écrit qu'à Shachtman lui-même et ensuite au comité central de la League américaine. Qui donc a pu fournir au camarade Nin cette information totalement fausse ?

Si le camarade Shachtman utilise ces mêmes méthodes pour les affaires américaines, alors, quand bien même nombre de ses thèses seraient justes, sa politique, elle, est fausse. Les brandlériens prétendent que Staline ne se trompe que dans les questions internationales mais qu'il a raison pour les affaires russes. Je me refuse à appliquer à Shachtman cette comptabilité à partie double. Pendant plus de deux ans, je me suis borné à la persuasion et aux lettres personnelles. Puis je me suis adressé à la direction de la League américaine pour contraindre Shachtman à annoncer la couleur. Il préfère continuer à jouer à cache-cache et en remplaçant la politique révolutionnaire par de douteuses combinaisons de personnes. Je suis donc bien obligé de conclure que, malgré toute ma bonne volonté, la discussion publique avec Shachtman et ses alliés internationaux devient inévitable.

Le camarade Shachtman m'écrit qu'une phrase de mon interview, à propos du caractère inévitable d'un Labour Party en Amérique, a été source de confusion. C'est bien ce que j'ai remarqué à la lecture du journal de Lovestone. C'est tout bonnement un malentendu. Je parlais de l'inévitable européinisation de la politique américaine c'est-à-dire en premier lieu de la constitution d'un parti de la classe ouvrière. Ce faisant, je n'ai évidemment pas défini plus concrètement la nature de ce parti social-démocrate, Labour Party ou parti communiste. Il n'y avait nulle raison de détailler ce point dans une interview à un journal capitaliste. Dans le texte anglais de ma déclaration il est dit "Workers Party" et non "Labour Party". Tout lecteur attentif aurait dû le comprendre de lui-même. Que les brandlériens américains veuillent bien faire de cela leurs choux gras montre bien qu'à l'instar de leurs professeurs allemands, ils sont à bout de ressources.