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Special pages :
Lettre à Alan C. Collins, 15 novembre 1939
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 15 novembre 1939 |
Projet pour un article de revue
Les étoiles jumelles sont soit un phénomène purement optique soit un phénomène physique. La question est : Hitler et Staline sont-ils une étoile jumelle optique ou physique? Hitler insiste sur la première interprétation, Staline essaie d’imposer la seconde. Hitler a raison — pour la prochaine période nous aurons une véritable étoile jumelle avec Hitler comme étoile principale et Staline comme satellite.
La caractéristique fondamentale de la situation mondiale et ainsi européenne, en ce moment, est que tous les ponts vers la paix ont été brûlés. Il y a devant nous une guerre longue et sans pitié. Précisément au moment où il était devenu évident qu’une telle guerre était inévitable, le Comintern a brutalement changé de politique, passant des phrases sucrées sur la défense de la démocratie et de la paix au mot d’ordre, abandonné cinq ans plus tôt, de la révolution mondiale (Dimitrov, Molotov, Browder, etc.). L’impression est donnée au Kremlin qu’on se prépare à utiliser la guerre et les bouleversements qu’elle va inévitablement provoquer, pour une « soviétisation » de l’Europe et pas de l’Europe seulement. C’est précisément cette impression que Staline désire donner. C’est pour cet objectif que les Dimitrov, Browder et autres ont reçu l’ordre de mettre des masques renfrognés. La presse mondiale tout entière fait écho. En réalité, Staline veut vendre au plus offrant les coups de tonnerre révolutionnaire qu’il a exhumés de la cave et qu’il brandit à son poing, exactement comme il a vendu la « défense de la démocratie » à Hitler, contre une partie de la Pologne et l’administration des États baltes. Les coups de tonnerre sont un bluff. Celui qui y croit sera trompé, comme Londres et Paris l’ont été dans leurs négociations avec Moscou.
Avant que la guerre produise une révolution, elle produit des spéculations sur la révolution. Même le conservateur Chamberlain base ses plans sur une sorte de révolution monarcho-démocratique en Allemagne. Au lieu de bombes, il lance des tracts. Il est frappant de constater combien les hommes d’État ont peu appris de l’expérience de la dernière guerre et combien ils sont aveugles devant les grands événements de l’Histoire — guerres et révolutions. Croire qu’une révolution « modérée », « raisonnable » et « conservatrice » contre Hitler est possible en Allemagne est aussi absurde que la croyance qu’il était possible de satisfaire Hitler avec les montagnes des Sudètes. En Allemagne, seule une révolution socialiste est possible. A la différence de Chamberlain, Staline le comprend et en a peur.
Un régime totalitaire est, par son essence même, un cercle de fer autour d’un baril de poudre. Un régime totalitaire est nécessaire quand les contradictions internes ont atteint un point de tension intolérable. C’est pourquoi l’on peut prévoir que, dans la série de révolutions que la guerre ne peut pas ne pas provoquer, les pays totalitaires seront les premiers sur la liste. C’est extravagant d’imaginer que l’Allemagne pourrait être soviétisée de Moscou comme l’a été la petite Galicie arriérée. Pour faire sauter la ceinture du national-socialisme, de terribles explosions seront nécessaires. Des millions de gens seront mis en mouvement. Et les révolutions sont contagieuses. Dans la chaîne des régimes politiques, la dictature stalinienne est l’un des maillons les plus faibles.
Mais, avant la révolution, il y a la guerre. Pendant la période prochaine, Staline restera le satellite de Hitler. Pendant l’hiver qui vient, il ne prendra probablement aucune initiative. Avec la Finlande, il va conclure un compromis. Il cherche un autre compromis plus important avec le Japon contre les États-Unis. Tant que la position militaire de Hitler restera favorable (et il en sera ainsi en tout cas pendant la première année de la guerre), Staline se contentera de ce qu’il a déjà obtenu. Si l’Allemagne se trouve — et quand elle se trouvera — dans une situation difficile, et c’est inévitable, mais pas si vite, Staline essaiera de se dégager d’avec Hitler. Par exemple, il soviétisera les pays baltes et peut-être réclamera l’indépendance de la Pologne de Hitler, pour la soviétiser aussi, et il peut devenir actif dans les Balkans.
Tout cela n’est cependant que les convulsions finales de deux régimes totalitaires. L’effondrement militaire de Hitler provoquera inévitablement une révolution en Allemagne et les conséquences en seront le renversement de l’oligarchie de Staline en U.R.S.S. Déjà, dès maintenant, ces deux événements se dessinent comme ceux qui se matérialiseront le plus certainement au cœur du sanglant conflit.
Cette esquisse sera complétée par des données positives, les illustrations concrètes comme des caractérisations personnelles, et ainsi de suite. L’article sera de 3000 à 3500 mots.
Conditions pour un article
Cher Monsieur Collins,
Je joins un petit prospectus d’un article que je suis prêt à écrire aux conditions suivantes:
1. Life Magazine doit accepter ou refuser l’article sur la base de ce prospectus.
2. L’article devrait être d’environ 3 500 mots.
3. Life Magazine m’a payé 1 500 dollars pour le premier article qui leur a été vendu, sans déduction pour les impôts, etc. Pour le second article, ils proposent 2000 dollars. Je considère le prix de 1000 comme un minimum pour l’article que veut Life, après toutes les déductions y compris celle de la commission de l’agent.
Si je reçois un télégramme d’acceptation, j’enverrai le manuscrit russe dans une semaine à M. Malamuth qui aura besoin de quatre à cinq jours pour la traduction.