Les tâches en URSS, 31 octobre 1930

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Chers camarades,

Les centristes sont dans les difficultés jusqu'au dessus de la ceinture avec le plan quinquennal. A une époque, ils nous accusaient sans aucune base de favoriser un plan administratif rigide. Dans la réalité ils ont eux-mêmes transformé le plan en fétiche. Les choses ne peuvent être autrement sous un régime où tout est élaboré au sommet, à huis clos, puis descendu vers les masses comme les tables du Sinaï. Le plan bureaucratique inaltérable qui a déjà déchaîné tant de calamités sur la tête des bureaucrates est devenu en même temps un piège pour la bureaucratie centriste. Elle ne peut s'en sortir sans y laisser au moins une de ses griffes. Mais cette fois les victimes expiatoires du genre Bauman ne se montreront plus désormais suffisantes. Le parti et le pays savent trop bien qui est responsable du plan quinquennal en quatre ans. Les Kalinine et les Vorochilov peuvent essayer, cette fois, de se libérer du piège en mâchonnant cette griffe qu'on appelle "le secrétaire général". Si leurs dents sont à la hauteur de ce travail va dépendre moins d'eIles que de la situation dans son ensemble. D'une manière ou d'une autre, une nouvelle crise du parti arrive vers nous avec des bottes de sept lieues.

Elle diffèrera qualitativement de toutes les crises précédentes en l'unique aspect que les (mot illisible - NDT) inconnues dans le parti lui-même se sont élevées à un degré grotesque. Les Bessedovsky, Agabekov, Dmitrievsky et autres constituent maintenant un élément difficile à mesurer mais très important de la situation d'ensemble. Ces types ont pris de leur propre initiative le nom de thermidoriens. Après tout il faut bien avoir un nom. Essentiellement; ils sont la fraction des lécheurs de bottes réactionnaires qui ont reniflé le danger qui vient et cherchent un nouveau maître. Staline s'est basé sur la foule des copains de ce genre pour sa lutte contre nous. C'est dans cette lutte que le bessedovskysme a mûri, c'est-à-dire qu'il a pourri jusqu'à la moelle. Les Bessedovsky ont aidé aussi Staline à régler leurs comptes aux éléments de la Droite, comme Rykov, Boukharine et Tomsky, en dépit du fait que les lécheurs étaient incontestablement cent fois plus droitiers eux-mêmes. La crise imminente du parti va inévitablement suggérer aux lécheurs bureaucratiques d'intervenir. Ils représentent les inconnues les plus immédiatement dangereuses dans le parti ou plus précisément dans son appareil en ce moment. Leur nombre et leur disposition à tout faire devant le danger (le saut par la fenêtre de Bessedovsky était un geste symbolique) donne à la crise qui vient, dans une mesure ou une autre, les traits d'un coup de palais. Les éléments d'un coup ont été présents pendant pas mal de temps; l'élimination du principe électif dans le parti, l'intervention du G P.U. dans la lutte fractionnelle, le régime plébiscitaire dans sa nudité et ainsi de suite. Mais maintenant un saut dans le processus qui se déroule est devant nous, une transformation en quantité de la qualité.

Imaginons un instant que, dans la crise qui vient, Bessedovsky abatte Staline. Est-ce exclu ? De façon générale, non. Mais il faut comprendre ce que ça signifie. Les Bessedovsky peuvent abattre Staline seulement dans la mesure où des piliers qui s'écoulent peuvent faire tomber une coupole. La fraction des lécheurs qui ont sauté le mur n'est certainement pas capable de jouer un rôle indépendant. Qu'est-ce qui arriverait dans ce cas, le lendemain d'un coup par cette fraction.

Les idiots (et les filous) démocratiques en-dehors de notre pays ont commencé à jouer avec l'idée des soviets sans communistes. De façon générale, semblable épisode n'est pas exclu. Mais si les soviets, avec les mencheviks et les s.r. à leur tête, ne durent que huit mois avant de laisser la place aux bolcheviks, alors les soviets sans communistes - comme la roue peut tourner à l'envers - ne dureraient guère plus de huit semaines avant de laisser la place à quelque transparente combinaison de Thermidor et du bonapartisme, lequel à son tour ne servirait que de petit pont vers un bonapartisme "grand-russe" balayant tout devant lui ne mâche pas ses mots (sic - NDT).

Le fait est que, dans l'éventualité de l'effondrement de l'appareil du parti avec la sortie en masse des lécheurs, les masses du parti tout à fait désorientées, avec les deux classes fondamentales de la société, dans un état de profond mécontentement, "les soviets sans communistes" ne pourraient être qu'une expression fugitive de la paralysie progressive de la révolution elle-même.

Les soviets, sans gouvernail ni voiles, commenceraient à chercher un sauveur. Les Bessedovsky et les candidats à leur rôle qui existent dans l'armée et le G.P.U. - tous ces Blücher, Toukhatchevsky, Iagoda, Deribas etc. -pousseraient dans cette même direction. Si Klim voulait abattre le secrétaire général, prenant appui pour une telle action, sans aucun doute, plutôt sur l'état-major que sur la parti ou même l'Orgburo - il donnerait pour se justifier l'argument qu'il "fallait au moins sauver quelque chose". Le même genre de formule pourrait être utilisé par d'autres gens qui ont été, des gens à des étapes différentes de dégénérescence, y compris bien sûr les Piatakov, Radek et ainsi de suite. La dictature militaire de Klim, couplée avec certaine éléments survivants du régime soviétique serait en réalité notre forme à nous, indigène, du bonapartisme, dans sa première étape.

Il apparaît clairement combien ces possibilités et probabilités réduisent la vraisemblance du succès pour la route de la réforme. Mais on ne peut mesurer d'avance les chances. L'essence du régime plébiscitaire de Staline, après tout, est d'interdire la possibilité d'une orientation politique préliminaire concrète. Dans la mesure où la crise politique de parti qui vient, comprendra, selon toutes les indications, des éléments d'un coup, il est peu vraisemblable qu'elle se produise sans guerre civile. Mais à quelle échelle ? Selon quelles lignes ? Sous quelles formes "légales" ? On ne peut peut-être par le prédire exactement, surtout de loin et sans connaître tout ce qui se passe dans l'appareil du parti et les liens des divers groupes et fractions avec les groupes non-parti, surtout dans l'appareil d'Etat et que ce dernier peut avoir avec les classes sociales.

Il est en tout cas absolument indiscutable que, à la lumière des grands bouleversements qui approchent, les bolcheviks-léninistes sont pour la préservation et le maintien des conquêtes de la Révolution d'Octobre, c'est-à-dire avant tout des éléments de la dictature prolétarienne et du rôle dirigeant du parti. En ce sens fondamental, nous restons sur la voie de la réforme. Cela signifie en particulier que nous devons faire tout notre possible pour qu'en cas de guerre civile, le noyau prolétarien révolutionnaire du mouvement communiste parte de positions légales, c'est-à-dire combatte sous le drapeau officiel pour défendre les éléments survivants de la Révolution d'Octobre dans le style existant aussi bien contre ceux qui veulent attaquer de front le système dans son ensemble ou qui souhaitent d'abord n'attaquer que les éléments d'Octobre dans le système soviétique. C'est à quoi revient la ligne de la réforme dans cette période actuelle de préparation la crise.

Il est utile d'illustrer cette idée en prenant une question particulière. Il y a quelques mois, des camarades nous ont écrit que Kh.G.Rakovsky avait pris position pour un comité central de coalition, composé de la droite, du centre et de la gauche. Comme la droite est encore au comité central, cela signifiait en réalité l'entrée de la gauche. Bien entendu il ne saurait être question que les staliniens acceptent une telle combinaison plus de vingt-quatre heures avant le déclenchement de cette crise. Même aujourd'hui, ils continuent leur campagne brutale et fanatique contre la gauche à une échelle internationale. Le noyau prolétarien du parti sent que le danger approche et cherche une issue. Il va la chercher - il ne peut faire autrement - sur la voie de la réforme. Ce noyau ne peut pas se donner comme tâche de livrer la direction et le pouvoir à l'opposition de gauche, car il n'a pas en elle ce genre de confiance dans l'Opposition et, même s'il l'avait, un changement aussi radical dans la direction ressemblerait plus à une révolution de palais qu'à une réforme du parti aux yeux de ses masses. Le mot d'ordre de comité central de coalition est bien plus indiqué comme mot d'ordre qui à la veille de la crise ou en son cœur, pourrait devenir le mot d'ordre de larges couches du parti.

Peut-il y avoir des objections de principe, de notre part, à un tel mot d'ordre ? Nous n'en voyons pas. Nous avons toujours dit et ce n'était pas qu'une phrase creuse, que nous restions à la disposition du parti. Nous n'avons pas quitté le comité central de notre plein gré. Nous avons été exclus parce que nous refusions de renoncer à nos idées ou à notre droit de les défendre. Le mot d'ordre d'un comité central de coalition présuppose bien entendu que nous restons fidèles à la plate-forme de l'Opposition et prêts à combattre pour elle sur le terrain du parti et avec les méthodes du parti. Nous ne pouvons aborder le problème autrement.

Il est possible qu'une vaste couche de l'opinion dans le parti s'emparerait de l'idée d'une coalition à trois à une certaine étape, y voyant l'unique moyen de sauver le parti d'un effondrement total, avec le danger qu'il soit enterré pour de bon. Il est tout à fait évident aussi que les gens du type Boukharine dans la droite ont autant de raison que nous de craindre la fraction des lécheurs enhardis, même si ce sont les boukharinistes et les staliniens eux-mêmes qui ont à l'origine ont nourri cette tourbe de leur nourriture intellectuelle. Le parti aujourd'hui est devenu si stagnant, si atomisé, si réprimé et surtout si désorienté que les premières étapes de son réveil prendront place sous les mots d'ordre les plus élémentaires: "Que Staline, Molotov, Boukharine, Rykov, Rakovsky et Trotsky s'unissent, ne serait-ce que pour balayer cette racaille hors du parti et de l'appareil d'Etat". Peu importe à quel point cette idée est primitive, elle pourrait jouer un rôle sérieux si elle se répandait à temps parmi des couches assez larges du parti et d'abord, bien sûr, dans le cœur prolétarien du parti. Nous entrerions dans une telle coalition - si une telle chose s'avérait en premier lieu réalisable seulement au nom de buts bien plus larges. Nous ne renonçons à rien. Au contraire, ce serait aux autres de renoncer à quelque chose - beaucoup, en fait. Mais la question maintenant n'est pas de savoir comment ce mot d'ordre doit être réalisé en pratique (ou pas réalisé, ce qui est plus vraisemblable). Ce qui est important maintenant, c'est que, en mettant en avant à temps ce mot d'ordre, il puisse sortir les masses du parti de leur stupeur et sortir l'Opposition de gauche de son isolement actuel, qui constitue le principal danger dans toute la situation.

En conclusion, il reste à être dit que la présentation de telle revendication ou de telle autre, y compris la revendication partielle et auxiliaire de celle pour le comité central de coalition, présuppose une capacité pour le travail régulier de la part de l'Opposition et dans les conditions actuelles qui exigent l'organisation. C'est une question qui doit être posée de toute urgence. Peu importe que les difficultés soient grandes, il faut les surmonter. L'inertie de la défaite se fait encore sentir aujourd'hui. Mais les chances sont incontestablement plus grandes et plus larges qu'il ne semble à beaucoup. Il faut se mettre au travail avec volonté.