Les leçons de la dernière session de la douma

De Marxists-fr
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La dernière session de la Douma se déroula entourée d’une atmosphère de décomposition cadavérique. Nous ne parlons pas des morts qui doivent servir « l’unité gouvernementale », l’Empire et le pont jusqu’à Constantinople… Combien y en a-t-il ? La statistique truquée et lamentable des pouvoirs publics nous le dira… peut-être… Quand ? Nous ne voulons pas parler de ces morts, mais de la puanteur du cadavre politique, des exhalaisons qui s’élèvent du Bloc impérialo-progressiste et de son aile gauche, les Kadets.

Sturmer a gratifié la Douma de neuf décrets. Comme on lui a retiré d’un seul coup la législation indispensable à l’état de siège, celle-ci s’est vue obligée de légiférer « organiquement » sur la base du programme réformateur du Bloc progressiste. Les partisans du 3 Juin ont décidé, en premier lieu, de rendre heureux les paysans : les impressions que les députés ont retirées des campagnes étaient inquiétantes. Il semblait que si l’on peut attendre quelque chose de l’opposition bourgeoise, ce serait là sur la question paysanne.

La guerre a pesé au plus haut point sur les forces villageoises. La réaction ne peut pas ne pas s’inquiéter de l’état d’esprit qui en résulte et, par conséquent, elle ne peut pas s’en désintéresser. Que fait alors le Bloc progressiste ? Ayant proclamé sa volonté de supprimer l’inégalité des moujiks, il sort des archives de la Douma un vieux décret de Stolypine, promulgué il y a dix ans, du même genre que l’article 87. Tout l’effort « réformateur » du Bloc commandé par les Kadets de Maklakov consiste à la « légalisation » d’un des décrets si peu généreux de la contre-révolution. Quand, de gauche et timidement…, on fit remarquer le caractère arriéré de cette mesure, le libéralisme répondit qu’il fallait « réaliser le réalisable ». Il ne leur est pas venu à l’esprit de transformer ce décret en un bélier lancé contre les murailles de l’inégalité. Le libéralisme a sous les yeux le spectacle des Soukhomlinov, Khvostov and C°; il a vécu l’année dernière cette période « d’incohérence », baptisée défense nationale : pourtant il regarde la monarchie comme un facteur indispensable et irremplaçable auquel il faut mâcher la besogne réformatrice. Dans ces conditions, il est compréhensible que les gens du 3 Juin n’aient rien trouvé de mieux à se mettre sous la dent que ce décret vieux de dix ans !

Ils ont repoussé la proposition (même pas en principe) de mettre sur le même plan tous les citoyens sans distinction de foi et de nationalité. Ils ont refusé d’étendre aux Juifs ces droits en même temps que le droit de résidence.

Ils ont conservé l’usage du passeport et les tribunaux de la Volost (district rural). Leur souci principal est exposé dans la réponse aux critiques de la gauche : nous ne pouvons pas nous consacrer à des réformes utopiques qui ne leur conviendraient pas (leur : la monarchie, la bureaucratie et la noblesse). Ce n’est pas en vain qu’est intervenu à ce sujet, au nom du gouvernement, l’acolyte du ministre de l’Intérieur, le comte Bobrinsky, président de l’Assemblée de la noblesse et initiateur de toutes les mesures contre-révolutionnaires. Le Conseil d’Empire, dans le même temps, s’occupait du vieux projet de la Douma concernant la responsabilité des fonctionnaires. Il a fait sauter le jury et a conservé le tribunal des représentants assermentés. Être d’accord avec « ça »… belle charge pour les épaules du Bloc progressiste et de ses dirigeants libéraux !

Si l’histoire, notre propre histoire depuis 10 ans, ne nous avait pas bien documentés, qu’aurions-nous attendu de l’opposition libérale ! Mais la bourgeoisie libérale en prenant parti pour la monarchie a démontré sa faiblesse, son incapacité d’échapper à l’Impérialisme et de manifester tant soit peu d’opposition énergique. « La renaissance impérialiste du libéralisme a posé la croix sur un des principaux dogmes du Menchevisme. » C’est récemment qu’un des théoriciens de ce mouvement s’est vu contraint de reconnaître qu'il fallait se refuser à tout espoir en une « révolution nationale » (Martinov). L’auteur ne tente pas d’expliquer ni à Martov ni à lui- même les conséquences de ce refus. Il n’explique pas non plus que toutes les illusions font de l’Internationalisme quelque chose de sentimental et de pompeusement phraséologique, que toutes les positions ambiguës des meilleurs membres de la fraction parlementaire rendent vain tout espoir en une révolution « nationale » approuvée par la bourgeoisie. Dans l’histoire des idéologies il arrive toujours ceci : que les idées éclatent avec intensité justement quand elles se survivent. Il a fallu la guerre et la collusion monarcho-bourgeoise pour que le social-patriotisme reprenne le vieux schéma menchevik et le coiffe de la marotte du bouffon.

« Les premières séances de la Douma ont montré quel puissant levier était un sentiment national sain en ce qui touche l’éveil politique de la nation. » C’est, évidemment, un extrait de Prisiv. Ils sont loin ces temps patriarcaux quand le sourire du chef obligeait le libéralisme à se taire par « gentillesse » et à renoncer à formuler ses exigences : la déclaration du Bloc progressiste résonne comme la voix dure d’une volonté politique éprouvée par l’expérience… (Prisiv n“ 24). Pour ne laisser planer aucune ambiguïté, le rédacteur agitant les clochettes de sa marotte ajoute : « De lamentables doctrinaires et des révolutionnaires égarés se sont trop hâtés de conclure qu’en période de développement impérialiste, le moment d’une révolution nationale était passé… » Tout ceci est très éloquent. Il n’empêche que, dans la dernière session, la « volonté dure, éprouvée, etc., etc. » n’a pas osé, malgré les conditions favorables, présenter son programme mais s’est contentée de l’héritage « stolypinien ». Maklakov, le cerveau et le cœur du Bloc progressiste a expliqué qu’ainsi est faite leur tactique, qu’elle ne peut être et ne sera pas différente…

Le dieu boiteux du Progrès russe a agité en l’air le couvre-chef de la révolution nationale, l’a abattu sur la tête collective des sociaux- patriotes, puis sans cérémonie a claqué celle-ci de sa main noueuse. Cela ne servira en rien pour ceux-ci mais c’est une leçon pour d’autres !