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Les erreurs et les particularités du POUM
Auteur·e(s) | Grandizo Munis |
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Écriture | février 1937 |
Quand le POUM, il y a un an, a signé le manifeste électoral qui a donné naissance au Front populaire, notre organisation internationale a exprimé des critiques sévères que les dirigeants du POUM ont jugé calomniatrices. Cette signature, qui allait au-delà du compromis que dicte la politique du Front unique, annonçait une succession de capitulations et de concessions touchant aux principes [révolutionnaires], concessions toujours justifiées en invoquant des particularités que les « sectaires » seraient incapables d’apprécier. Tout cela a empêché le POUM de devenir un pôle d’attraction pour les masses et d’éduquer les cadres de l’avant-garde prolétarienne.
Au cours de l’année écoulée, de nombreux événements importants, durant lesquels le POUM est resté un parti presque exclusivement catalan, ont fortement corroboré notre analyse. Sur quelle « particularité » fondamentale le POUM s’est-il appuyé pour intégrer le Front populaire ? Sur l’ignorance du fait qu’un parti fort, qui aspire à la révolution, doit savoir sacrifier un avantage momentané, acquis au prix d’une concession, au profit d’un développement ultérieur. Pour que les masses comprennent et suivent un parti, celui-ci doit posséder une physionomie bien définie. Tout rapprochement, même partiel, avec les ennemis du prolétariat, crée la confusion avec ceux-ci, brouille les frontières entre la politique réformiste et la politique révolutionnaire.
Malgré cela, les conditions étaient tellement favorables en Espagne que le POUM aurait pu récupérer rapidement tout ce qu’il avait perdu s’il avait opéré une rectification rapide et profonde de sa politique. Mais malheureusement, la direction de ce parti ne semble voir dans notre révolution que des « particularités » ; [et] toujours des particularités qui lui permettent d’accepter quotidiennement la position [qui] consiste à fermer les yeux devant l’avenir.
Cette attitude est, tant qu’il n’existe pas de véritable parti révolutionnaire, la caractéristique la plus dangereuse du POUM, dans la mesure où ce parti d’extrême gauche est en mesure, même s’il persiste à l’ignorer, d’influencer la conscience des masses et même de déterminer le cours de la révolution. Aujourd’hui même, alors que nous vivons une période extrêmement grave, l’imprévisibilité politique du POUM, ses mots d’ordre confus, erronés ou contradictoires, son manque de volonté de lutte politique qui confine à l’inertie, ses reculs continuels face au bloc stalinien-réformiste et ses capitulations devant l’anarchisme, et, plus particulièrement, son mépris total pour une issue révolutionnaire immédiate d’une situation qui menace dangereusement de se terminer par une conclusion réactionnaire, tout cela peut préparer les conditions pour que les staliniens et les socialistes, suivis à contrecœur [par] les anarchistes, nous offrent la paix dont ils rêvent en secret dans leurs cages bureaucratiques, le triomphe des fascistes auquel ils n’aspirent pas mais qu’ils facilitent, ou la guerre impérialiste qu’ils préparent, même s’ils en ont peur.
Que fait le POUM face à tout cela ? Quelle perspective trace-t-il ? Quel mot d’ordre oppose-t-il à ces principes ? Imputer toute la responsabilité d’une situation donnée aux agissements de traîtres n’est pas une attitude sectaire, mais impuissante. Les traîtres ont pour fonction de trahir. Les révolutionnaires ont pour fonction d’empêcher le triomphe de la trahison. Le POUM existe et il prend une voix caverneuse pour se faire appeler le parti de la révolution. Mais lutte-t-il vraiment contre la trahison qui bourdonne au-dessus de nos têtes, tous les jours, en attendant le moment propice pour fondre sur nous ? Non, il ne lutte pas. Il se laisse porter par les événements, il sommeille en attendant que les masses viennent le chercher et, quand il se sent obligé de dire quelque chose, il lance n’importe quel mot d’ordre puisé dans son dictionnaire particulier.
Pour éliminer toute opposition face à ses sinistres intentions, le stalinisme a lancé une campagne de calomnies et de persécutions contre le POUM. La section de Madrid, qui est assez faible, vit dans un contexte militaire [difficile] et de plus [elle] représente l’aile gauche du parti et a subi les premières attaques, les plus violentes. Sa presse et sa radio ont été saisies, puis il subira une attaque physique, peut-être un procès comme ceux de Moscou . Contre ces attaques, toutes les organisations révolutionnaires ont le devoir de défendre vigoureusement le POUM. Mais il faut surtout le défendre en répondant à ces persécutions par une attaque politique, en menant une campagne d’agitation contre les procès staliniens afin d’obliger les organisations anarchistes à prendre position, d’un côté ou de l’autre. Le POUM dispose de suffisamment de force pour réussir dans cette entreprise ; mais nous le voyons reculer, céder du terrain face au stalinisme, émettre des protestations insignifiantes dans La Batalla pour ensuite retomber immédiatement dans son inertie habituelle, en attendant que sonne l’heure de son martyre en Catalogne.
Il arrive exactement la même chose dans l’arène la de lutte des classes. La marge conséquente qu’avait acquise la classe ouvrière, grâce à la guerre civile, pour se réunir et former un parti de la révolution, cette marge est en train de s’épuiser. Personne, pas même le POUM, ne peut affirmer que la classe ouvrière bénéficie aujourd’hui des conditions nécessaires pour s’emparer du pouvoir politique et créer son propre Etat de classe. Au contraire, le danger est que l’État bourgeois se consolide totalement au détriment du prolétariat. La seule issue positive réside dans le [illisible] l’esprit du prolétariat, qu’il renoue avec l’esprit général, qu’il empêche toute issue réactionnaire et fournisse un nouveau délai nécessaire à la préparation de la prise du pouvoir politique. Nous avons formulé cette issue dans le mot d’ordre du « Front révolutionnaire du prolétariat ». Les masses se méfient beaucoup du Front populaire. Même parmi les anarchistes on constate une hostilité générale face à la politique de leurs ministres ; ils commencent à réaliser la nécessité d’une politique de classe. Personne ne désire non plus la guerre impérialiste, encore moins un armistice. Il existe des conditions très favorables pour la création du Front révolutionnaire, Front qui irait à l’encontre du Front populaire et de ses projets ; il commencerait à briser l’union sacrée en Europe, et permettrait d’organiser le parti de la révolution et de trouver le chemin du pouvoir.
Il est possible que, en privé, certains dirigeants du POUM le comprennent, comme le laisse penser l’adhésion de la JCI au Front des jeunesses révolutionnaires, qui, même si elle est incomplète et confuse sur certains points, peut constituer un début positif de réaction prolétarienne ; mais le POUM a peur d’entamer une campagne ouverte pour un Front révolutionnaire. Il ne veut pas que les staliniens puissent affirmer qu’il cherche à briser le Front populaire et il participe à des réunions bureaucratiques secrètes avec les anarchistes en espérant que ceux-ci leur suggèreront peut-être un front semblable à celui de la jeunesse. En attendant, le stalinisme triomphe, la bourgeoisie reprend des forces et la confusion des masses profite à tous les projets réactionnaires. Mais le POUM dispose d’un mot d’ordre qui a fière allure, celui du « Gouvernement ouvrier et paysan ». Quand elle se sent découragée, quand elle croit qu’elle va être expulsée définitivement de la Generalitat, la direction du POUM lance un mot d’ordre [qu’elle publie] en gros titres [dans son journal], comme un défi lancé aux staliniens et un élixir miraculeux qui d’un seul coup pourrait changer le cours des événements.
Personne ne peut expliquer ce que signifie exactement un gouvernement ouvrier et paysan pour le POUM. Ce concept recouvre-t-il la collaboration qu’il a déjà pratiquée ou un gouvernement fondé sur des comités ? Dans le premier cas, les travailleurs ont maintenant la preuve que cela ne sert que les intérêts de la bourgeoisie ; dans le second, l’idée est totalement hors du temps, car il n’existe plus guère de comités ; ceux qui restent ne disposent pas de la structure appropriée et on ne peut donc [pour le moment] que préparer le terrain pour que les comités puissent prendre le pouvoir. Seul le Front révolutionnaire du prolétariat, en brisant la coalition de classes, pourrait commencer cette préparation.
Aux camarades du POUM qui croient que leur direction rectifiera ses erreurs passées, nous répondons qu’elle n’a pas, et n’a jamais eu l’intention de se préparer sérieusement à la prise du pouvoir par le prolétariat. A propos de la collaboration [de leur parti au gouvernement] nous écrivions, dans notre dernier numéro, que « l’absence de discernement du POUM est plus apparente que réelle ». Dès que les affrontements entre les anarchistes et les staliniens ont offert la possibilité – bien faible – que la CNT soutienne la candidature gouvernementale du POUM, L’Hora qui s’est toujours positionnée légèrement à gauche de La Batalla, a demandé le 19 [février 1937] un gouvernement révolutionnaire de prestige pour la Generalitat, « dans lequel le POUM revienne avec une représentation plus importante qu’auparavant et que l’Esquerra dispose de moins de représentants ». Sérieusement, nous devrions demander aux dirigeants du POUM quelle « particularité » ils ont trouvée [cette fois] pour livrer de cette manière le mouvement ouvrier au stalinisme. Il est absolument essentiel d’affirmer que la direction du POUM est le principal obstacle à la formation du parti révolutionnaire. Ses membres ont le devoir de lutter contre l’opportunisme de cette direction, qui se laisse piétiner par le stalinisme, capitule toujours dans les moments graves et empêche le prolétariat de trouver un pôle révolutionnaire autour duquel se regrouper et balayer ses ennemis qui lui barrent le chemin du pouvoir.
La lutte pour le Front révolutionnaire du prolétariat donnera aux militants du POUM une excellente occasion de contrôler leur direction et de rendre service à la révolution sociale. S’ils n’y arrivent pas, le POUM marchera à sa perte et la révolution entrera dans une phase réactionnaire.
G. M. [Munis]