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Les contradictions du capitalisme moderne
Auteur·e(s) | Nikolaï Boukharine |
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Écriture | octobre 1924 |
Cet article du camarade Boukharine paraîtra dans le prochain numéro de la revue politico-économique du C. C. du P. C. R. Nous reproduisons cet article avec la permission de la rédaction et attirons l'attention de nos lecteurs sur les problèmes de superimpérialisme qu'il pose. Cette théorie de Kautsky-Hilferding est en ce moment en pleine vogue dans les rangs de la social-démocratie. Elle est l’appréciation social-démocrate du phénomène de l’immixtion du capital américain dans la vie économique de l’Europe. L’article de Boukharine a d'autant plus d'intérêt qu'il y a même des communistes qui se sont ralliés à cette théorie.
Dans les « théories de la plus-value », Marx définit l’apologie des économistes bourgeois comme étant un système d’idées sur le capitalisme qui voit l'unité des rapports capitalistes, mais ne discerne pas les antagonismes qu’ils renferment et ne peut, par conséquent, comprendre la société capitaliste comme un ensemble de contradictions et ne peut saisir le mécanisme intérieur de l’évolution capitaliste.
La société communiste est une société organisée, où règne le « plan » d’ensemble qui se développe rationnellement. C’est une société qui possède la faculté de diriger sa propre évolution. Le capitalisme prépare cette société, il crée les prémisses de l’organisation générale de la société de l’avenir.
Mais la mission historique du capitalisme a comme terme, non pas la société organisée, mais la plus formidable explosion des contradictions sociales — la révolution.
D’autre part, ce n’est pas seulement l'antagonisme des classes accru au plus haut point — la force propulsive la plus puissante de l’époque actuelle — que nous apercevons au bout de l’évolution du régime capitaliste. Toutes les contradictions du capitalisme : crises, concurrence, guerres, s’y trouvent multipliées. La théorie révolutionnaire marxiste considère l’ensemble du développement de la société capitaliste du point de vue de la reproduction toujours élargie des contradictions capitalistes ; c’est ainsi seulement que l’on peut tracer un tableau du monde bourgeois correspondant à la réalité.
L’humanité — aussi bien sa partie prolétarienne que les maraudeurs de la bourgeoisie — fait en ce moment le bilan de la guerre mondiale, de la première bataille impérialiste embrasant le monde entier. Les apologistes social-démocrates, eux aussi, tirent leur bilan ; les ex-ministres des cours bourgeoises — royales et républicaines — les petits- bourgeois quasi-marxistes, aspirant à une existence paisible et tranquille, ces philistins drapés en robe de chambre moelleuse arrosée du sang des victimes du régime « démocratique » de Noske.
Un de ces champions du piteux « marxisme » wilsonisé est M. Hilferding;, qui évince rapidement son parrain, maître et précepteur Karl Kautsky, du cimetière des théories social-démocrates.
Dans le numéro 1 de la revue Die Gesellschaft (La Société), Hilferding publie un article théorique-programme, intitulé : « Problèmes de l’époque ». Nous n’avons pas la possibilité de nous arrêter sur les détails de l’article, d’autant plus que d’autres camarades lui ont déjà répondu. Nous dirons pourtant quelques mots au sujet de certains raisonnements de M. Hilferding.
Voyons tout d'abord le problème du « capitalisme organisé ». C’est, en effet, un des « problèmes de l’époque ». Mais que nous dit ici la théorie social-démocrate ?
M. Hilferding constate avec raison la concentration et la centralisation toujours plus avancées du capital, la croissance des cartels monopolistes, etc., etc.
« C’est la transition du capitalisme de la Libre concurrence au capitalisme organisé. »
« Parallèlement s’affermit, dans l’économie, l’ordre et la direction conscients, qui ont tendance à remplacer l’anarchie immanente du capitalisme de la libre concurrence. »
Qu'y a-t-il là d’étonnant ? Cette tendance n’a-t-elle pas été enseignée des centaines de fois dans nos écrits communistes ?
Evidemment. Mais nous en avons parlé d’une tout autre façon que Hilferding.
Ce dernier ne comprend pas, ne voit, ne veut pas voir que la tendance à l’organisation se développe aussi en des formes antagonistes, contradictoires. Comme apologiste du capitalisme, Hilferding se tait sur ces contradictions, il se tait précisément sur ce que l’analyse marxiste doit faire ressortir en premier lieu.
Pour M. Hilferding semble s’ouvrir une ère de capitalisme organisé, sciemment dirigé, d’un capitalisme sans crises, sans chômage, avec des salaires stables et sagement réglés, etc.
Mais la réalité est tout autre, et c’est fatal. Car la suppression de la libre concurrence dans le cadre d’un pays capitaliste, le fait qu’on y a surmonté l’anarchie de la production, impliquent un redoublement de la « libre concurrence » entre les pays, un accroissement de l’anarchie de l’économie mondiale, en 'd’autres termes, une reproduction élargie des contradictions capitalistes.
Seul le point de vue borné de« l’économie nationale », devenu le point de vue du professeur décrépit, peut « faire abstraction » de l’économie mondiale.
M. Hilferding ne s’aperçoit de l’existence d’une économie mondiale que lorsque son oreille perçoit le tendre son du dollar américain, cet élixir merveilleux qui ranime le pauvre mark allemand, qui « puait trois jours » déjà, comme saint Lazare de l’Evangile et que le Christ américain, chaussé des bottes du général Dawes, doit ressusciter.
Mais M. Hilferding est aveugle, lorsqu’il s’agit de voir les contradictions de d’économie mondiale. Il est sourd lorsque ces contradictions clament contre les apologistes d’une voix qui est loin d’être mélodieuse.
L’anarchie est « surmontée » ! Les crises « disparaissent » ! Mais regardons un peu la réalité. L'économie mondiale est maintenant moins unie qu’auparavant. Tous ceux qui l’ont étudiée le reconnaissent. Tous emploient les termes : « déclin de l’économie mondiale », « dégénérescence de l'économie mondiale », etc... Hilferding, l’esprit serein, parle inlassablement de l’anarchie surmontée.
En réalité, l’anarchie du capitalisme n’est pas surmontée, mais s’est, au contraire, aggravée. Elle a, il est vrai, changé de forme.
L’anarchie, dans les relations d’une quantité innombrable de petites entreprises, s’est transformée en une lutte formidable des monstres impérialistes sur le théâtre mondial — lutte féroce, causant des pertes économiques incalculables. De même pour ses crises. Au sein des trusts, l’anarchie est évidemment surmontée et les crises intérieures disparaissent. Mais ce serait un illusionnisme ridicule de penser que les crises en générai disparaissent. La récente crise mondiale aurait dû, semble-t-il, enfoncer un peu de dialectique même dans les crânes social-démocrates.
Cependant, il serait injuste d'affirmer que Hilferding ne comprend pas du tout de quoi il s’agit. Il fait simplement le sourd. Demandant l’aumône aux riches passants américains qui se pavanent sur les boulevards de Berlin, il simule. Soit, c’est dans l’ordre des choses !
M. Hilferding reconnaît que la victoire incombe au capital anglo-saxon ; M.Hilferding est prêt à se concilier avec la « suprématie politique -et spirituelle » des Anglo-Saxons. Et c’est là que M. Hilferding commence à découvrir le vrai paradis social-démocrate.
Le marxisme affirmait jusqu'à présent que les guerres sont indissolublement liées avec le capitalisme. Mais notre « penseur » attaque courageusement cette conception périmée :
« L’intérêt des Etats anglo-saxons, tout particulièrement de l’Angleterre, consiste surtout à consolider les conquêtes acquises et beaucoup moins à tenter une expansion territoriale nouvelle... Les intérêts des masses... démocratiques sont en harmonie complète avec… ces intérêts »
Et plus loin, tout à fait ouvertement :
« Est-ce que le capitalisme engendre fatalement la guerre, de sorte que la paix ne peut être assurée que par la suppression totale du capitalisme ? Ou bien peut-on créer, par une politique conséquente (!), qui limiterait la souveraineté des Etats en faveur d’une organisation super-étatique, de nouvelles formes d’ordre politique ? N’y a-t-il pas ici aussi (?!! N B.) plus de place pour une évolution pacifique que l’on ne le pensait jusqu’à présent ? »
Et M. Hilferding fait savoir qu’il est tout entier pour l’évolution pacifique contre la révolution violente, pour la « Société des Nations » et contre- la souveraineté -des Etats, pour la « suprématie » anglo-saxonne, pour le dollar et autres bienfaits. Il se déclare contre les événements qui se sont déroulés dans l’ « Europe orientale » et auxquels il consacre seulement deux mots méprisants, en vrai « savant » consciencieux et respectable. Ainsi, M. Hilferding fait ressusciter l’« ultra-impérialisme » de Karl Kautsky, qui prêchait cette utopie déjà au début de la guerre. L’« ironie de l’histoire » est remarquable. Avant la guerre, Kautsky aussi se pâmait devant les formes politiques anglaises, déclarant l’impérialisme anglais innocent comme un enfant et défenseur de la paix et de l’amour éternels. Et quelle ironie ! Maintenant, où la préparation franco-anglo-russe à la guerre est prouvée par les documents, après le carnage mondial — la pensée des théoriciens sociaux-démocrates revient à son point de départ !
Ainsi donc, M. Hilferding bégaie une réponse affirmative à la question de l’« ultra-impérialisme ».
D’une façon générale, cette « alliance des alliances » impérialistes, cette « organisation super-étatiste », ce « trust mondial » uni, etc., pourraient être réalisés par deux moyens :
Soit par un accord,
Soit par la lutte et par la victoire du groupe le plus fort.
Avoir des espérances quant au premier procédé, c’est absurde. Car l’accord n'est possible et réel que lorsqu'il y a égalité de forces, lorsque la victoire est improbable, lorsque la lutte paraît sans issue. Or, qui osera affirmer qu’il y a maintenant égalité de forces ?
Le second procédé est celui de la victoire. Hilferding « prend pour base » la victoire des « anglo-saxons ». La « suprématie » anglo-saxonne est pour lui la véritable « Société des Nations ».
Mais c’est aussi une illusion. D’abord parce que dans cette suprématie il n’y a aucune unité, ensuite parce qu’il existe d’innombrables autres antagonismes qui rendent ce « paradis » tout à fait illusoire.
La victoire de l’Amérique est évidemment un fait. Mais de là au « capitalisme mondial organisé » par l’Amérique, la distance est grande. L’Amérique voudrait « rationner » la population de l’Europe pour employer l’expression du camarade Trotsky. Mais une chose est le désir et autre chose la réalité.
Evidemment, s’il n’y avait pas d’autres concurrents, s’il n’y avait pas de conflits européens, s’il n’y avait pas de mouvements coloniaux qui peuvent d’un coup changer le tableau du monde, s’il n'y avait pas l’Orient (voir la fermentation en Chine), s’il n’y avait pas la résistance de la classe ouvrière, s’il n'y avait pas l’antagonisme entre le Japon et l’Amérique, etc., etc.; en d’autres termes, si la réalité était le contraire de ce qu’elle est, s’il n’existait au monde que la seule tendance panaméricaine, alors, et alors seulement nous aurions une « Société des Nations », un trust mondial et des rations européennes distribuées par l’oncle d’Amérique.
Notre tactique ne peut ignorer un phénomène aussi important que la supériorité de l’Amérique. Mais il existe une multitude d’autres faits desquels il faut tenir compte dans une analyse des contradictions du capitalisme moderne.
Cette analyse est la tâche principale de nos théoriciens. Nous ne pourrons définir, d’une façon exacte, notre tactique que lorsque nous aurons tracé dans toute sa complexité concrète le tableau de la réalité capitaliste, dont l’élément le plus important est l’existence de tendances contradictoires.