Les conditions du problème ont changé

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Rien de tout à fait nouveau sous le soleil ! Ker démontrait dimanche dans l'Humanité que cette question des rapports entre les syndicats et le parti est une vieille question qui s'est déjà posée en France, il y a 14 et 15 ans. C'était en 1906 à Limoges et en 1907 à Nancy : 1906, l'année du Congrès confédéral d'Amiens et de la motion fameuse qui fonda le principe de l'indépendance corporelle des syndicats et de l'autonomie doctrinale du syndicalisme révolutionnaire ; 1907, l'année du Congrès socialiste international de Stuttgart qui, s'étant emparé du problème le trancha aussi bien contre les syndicalistes d'Amiens que contre les socialistes de Limoges et de Nancy.

Ker a bien fait d'évoquer ces choses oubliées. Il y a toujours profit à remonter la chaîne des années écoulées : à constater que ce sont presque toujours les mêmes questions qui se reposent et qu'elles se reposent, ma foi, parce qu'elles n'ont pas été pleinement résolues, on se prend à penser que peut-être il n'y a pas de solution parfaite donc pas de solution définitive : il n'y en a que d'imparfaites et de provisoires, qu'il faut sans cesse revoir, corriger, adapter.

Et puis n'est-il pas toujours bon que les jeunes — nous sommes, et je m'en réjouis, un beau parti de jeunes — sachent que le monde n'est pas né d'hier et avec eux ?

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Ker a donc eu raison, et je m'attacherai tout a l'heure, reprenant son article au point où il l'a laissé, à montrer que ce qui a changé depuis quinze ans ce ne sont point les questions que syndicalistes et communistes se posent, mais les conditions dans lesquelles ils le font.

Je voudrais auparavant indiquer en bref que s'il est bon d'user de la méthode des rapprochements historiques, il est mauvais d'en abuser.

Il y a des camarades qui disent : entre syndicalistes révolutionnaires et communistes, c'est le même débat qui mit jadis aux prises Bakounine et Marx.

Je réponds d'un mot à ces camarades qu'ils font erreur et qu'entre Marx et Bakounine, c'était un tout autre débat. Il s'agissait de savoir si l'Internationale serait ou ne serait pas dirigée, si le conseil général de l'Association, qui siégeait à Londres et dans lequel Marx jouait un rôle prépondérant, serait pourvu de moyens d'action et d'exécution qui lui permissent par exemple, de suspendre une section, de trancher un conflit, en un mot de faire, sous le contrôle des congrès, prévaloir son autorité. Bakounine et les jurassiens étaient pour l'autonomie absolue des sections et des branches tandis que Marx croyait à la nécessité d'une certaine centralisation des pouvoirs et des forces. Tel est, bien délimité, l'objet du conflit primitif. Mais faire de Bakounine, de ce vieux démocrate révolutionnaire fédéraliste, si étranger à la classe ouvrière et aux préoccupations économiques qu'était Bakounine, le précurseur du syndicalisme, c'est prendre pour des faits solides d'inconsistantes analogies.

* * *

Mais je reviens à mon sujet, qui est de montrer que, depuis le temps déjà lointain où les syndicalistes érigeaient, avec la motion d'Amiens, une barrière infranchissable entra le Parti et la C. G. T., il a coulé sous les ponts beaucoup d'eau, — et que dans, le Parti d'un côté, comme dans les syndicats de l'autre, beaucoup de choses ont changé d'aspect.

En 1906, le Parti socialiste était un parti réformiste. De même qu'autrefois, la Grèce vaincue avait subjugué moralement « son féroce vainqueur »[1], Jaurès et le jauressisme, battus à Amsterdam, avaient eu très vite leur revanche : l'unité s'était faite en grande partie à leur profit ; ne représentaient-ils pas, dans le Parti unifié, les méthodes d'évolution légale et de démocratie, tandis que les guesdistes, conduits par un chef vieux et malade, apparaissaient comme les tenants attardés d'un révolutionnarisme expérimentalement condamné, — ou tout au moins historiquement dépassé.

L'esprit révolutionnaire, évincé des milieux dirigeants du Parti où les pantalonnades d'Hervé eussent suffi à le déconsidérer, était réfugié dans les syndicats où il avait trouvé un terrain plus propice à son expansion. Le syndicalisme révolutionnaire, dressé tout à la fois contre le patronat capitaliste et contre l'Etat de classe, put apparaître alors comme le dernier réduit de la résistance prolétarienne et socialiste à la corruption parlementaire, à l'enlisement démocratique. C'est bien ce qu'en réalité, il fut pour nous durant plusieurs années : le type du socialisme spécifique et pur, du socialisme ouvrier. Les honteuses compromissions auxquelles il descendit pendant la guerre nous montrèrent que le socialisme parlementaire n'avait pas le triste privilège des abdications de principes et des trahisons scandaleuses. La chute du syndicalisme révolutionnaire, au 4 août, a été plus profonde que celle du socialisme politique, parce qu'il est tombé de plus haut.

Il s'est ressaisi moins vite. Tandis que les éléments révolutionnaires, qu'animait le grand souffle de la 3e Internationale s'emparaient de haute lutte du pouvoir socialiste, dont ils travaillent aujourd'hui à faire un véritable parti communiste de masses, les syndicalistes révolutionnaires ne sont pas encore parvenus à remettre la main sur le pouvoir confédéral ; ils mènent contre lui la lutte la plus pénible, ayant constamment sur la tête l'épée de Damoclès de l'exclusion. Dans cette lutte contre la C. G. T. officielle, ils sont fortement appuyés par le Parti communiste. Et cela, c'est le fait nouveau qui bouleverse toutes les conditions du vieux problème des rapports entre Parti et syndicats. Tandis qu'en 1906, la C. G. T. était révolutionnaire en face d'un Parti réformiste, c'est le Parti qui est aujourd'hui révolutionnaire en face d'une C. G. T. qui a cessé de l'être ; et ce ne sont plus les rapports entre Parti et C. G. T.. qui font pour nous question, mais les rapports entre Parti et C. S. R.[2]

C'est le milieu qui a changé, non le problème. Mais la solution du problème se ressentira forcément de la modification du milieu. En ce qui nous concerne, nous n'acceptons aujourd'hui ni la solution jauressiste, ni la solution guesdiste. Ce que nous acceptons, noue le dirons prochainement.

  1. Citation du poète romain Horace (-65 à -8), « Graecia capta cepit ferum victorem ».
  2. Comités Syndicalistes Révolutionnaires.