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Les événements en proche Orient
Auteur·e(s) | Avetis Sultanzade |
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Écriture | 27 janvier 1921 |
La Révolution arménienne et l'apparition du Pouvoir des Soviets aux portes presque de la Perse et de la Turquie brouille définitivement les cartes des banquiers français. Sous peu l'Entente sera obligée d'adoucir sa politique de brigandage. Le traité de Sèvres qui a consacré le démembrement et la mise à sac de la Turquie par les capitalistes occidentaux sera sans doute révisé. Cette supposition est encore renforcée par les événements de Grèce où la chute de Venizelos et le résultat des élections témoignent de l'hostilité des masses populaires contre la politique de l'Entente qui a entraîné leur pays dans la guerre avec les kémalistes.
Ainsi les bandits d'Occident ont perdu à la fois leurs deux plus fidèles chiens de garde, Venizelos et les dachnaks[1]. Ils sont obligés par la marche des événements à rechercher un accord avec les nationalistes turcs, en s'efforçant non seulement de les détacher de la Russie Soviétiste, mais encore de retourner leurs armes contre nous. Si avant la guerre l'existence de la Turquie garantissait l'équilibre entre les deux coalitions impérialistes, elle est encore nécessaire aujourd'hui pour maintenir ce même équilibre entre le communisme grandissant et le capitalisme à l'agonie. C'est pourquoi l'Entente consentira de grandes concessions. D'ailleurs les exigences des nationalistes turcs ne sont pas excessives. Ils présentent au Gouvernement installé par l'Entente à Constantinople les conditions suivantes : évacuation d'Andrinople[2] et de Smyrne[3], modification des articles financiers et économiques du traité, suppression des capitulations, amnistie générale et constitution d'un cabinet ayant la confiance du peuple. Le Sultan de Turquie est laissé sain et sauf, et c'est ce qui intéresse avant tout l'Entente.
Quant aux autres articles, les capitalistes français savent bien que la plupart resteront lettre morte. Quelles que soient les concessions qu'obtiennent les kémalistes en cette matière, ils n'en demeureront pas moins entre les griffes des boursiers de Paris et de Londres. Tel est le sort de tous les peuples arriérés qui prétendent vivre en amitié avec les puissances impérialistes.
Il va de soi que cette situation ne peut satisfaire tous les milieux turcs. L'aile gauche de l'Assemblée Nationale d'Angora s'est prononcée catégoriquement contre toute convention avec l'Entente. La composition sociale de cette aile gauche est faite de paysans et de petite-bourgeoisie. Cette dernière a souffert plus que toutes les autres classes de la guerre, car c'est elle, qui a dû fournir les chevaux, les voitures et le bétail pour l'armée sans compter toutes les corvées. Dans les villes, grâce au blocus, la petite-bourgeoisie a été entièrement ruinée par la suppression presque totale du commerce. Aussi a-t-elle une mentalité plus révolutionnaire.
Il est certain que les capitalistes français réussiront difficilement à lancer les nationalistes turcs dans une guerre contre la Russie soviétiste. La mémoire est trop fraîche encore des brigandages et des pillages dont le peuple turc a eu à souffrir de leur part. En tout cas c'est une hypothèse absolument écartée pour le moment. La Turquie, dévastée par des guerres sans fin, plus encore que la Russie, hésitera avant de se risquer dans une pareille aventure. Le développement logique de la révolution mondiale est tel que le mouvement libérateur des pays coloniaux et semi-coloniaux dans la première période de leur lutte contre l'impérialisme doit inévitablement marcher d'accord avec la Russie Soviétiste, unique défenseur des peuples opprimés contre la politique rapace des capitalistes occidentaux.
Mais dans l'avenir se produira forcément un changement total. Les classes possédantes qui sont à la tête de la Révolution nationale aujourd'hui, après avoir obtenu une indépendance relative, seront bientôt obligées par suite de l'exaspération des antagonismes de classes de s'allier aux puissances impérialistes, à celles-là mêmes qu'elles ont le plus violemment combattues. En outre, il est extrêmement difficile pour un Etat arriéré de se passer de l'aide des Etats capitalistes. Or, aussitôt cette alliance conclue, ils tombent entièrement sous l'influence des impérialistes et deviennent un instrument aveugle entre leurs mains
D'ailleurs, à l'époque de la lutte de classe acharnée, même une fausse indépendance peut entièrement satisfaire la bourgeoisie nationale des pays coloniaux et semi-coloniaux.
D'autre part, plus grandissent les antagonismes de classe à l'intérieur de la métropole, plus la bourgeoisie impérialiste consent de concessions à ses colonies, surtout à celles qui se bornent à une révolution coloniale incapable de léser profondément les intérêts économiques et les envois de matières premières dont a besoin la métropole. Voilà pourquoi nous pensons que l'Entente fera de grandes concessions, et que les exigences des kémalistes, à peu d'exceptions près seront satisfaites. Le fantôme de la Révolution mondiale effraye à un tel point les impérialistes qu'ils sont prêts à tout pour conserver les cadres de la société bourgeoise. Mais ce fantôme n'effraye pas seulement les impérialistes, il fait trembler aussi tout le monde capitaliste. Plus se développe le mouvement communiste, plus augmente l'antagonisme des classes, et plus la bourgeoisie mondiale devient réactionnaire. Par là s'explique le désir qu'ont les classes privilégiées de bien des pays arriérés (Perse, Géorgie, Arménie, etc.) d'entretenir des relations amicales avec l'Entente, en qui elles voient le soutien de la société capitaliste.
L'évolution de la lutte de classe obligera prochainement la bourgeoisie, même dans les pays coloniaux, à abandonner toute espèce d'idées révolutionnaires. Dans beaucoup de ces pays peut-être, le prolétariat occidental victorieux trouvera une Vendée en la personne de la bourgeoisie locale et de sa propre bourgeoisie échappée à la révolution sociale.
Le capitalisme mourant prend toutes ses mesures pour retarder son trépas. L'humanité traverse la période la plus intéressante de son histoire : sur l'arène de la lutte de classe figurent deux forces gigantesques, chacune d'elles retient la sympathie et les espérances de toute une classe de l'univers. Les banquiers de Paris, en voulant reviser le traité de Sèvres dans l'intérêt de la Turquie ne font que découvrir la totale impuissance des anciens maîtres du monde. L'impérialisme occidental, pour lutter avec espoir contre le Communisme grandissant, est obligé de renoncer progressivement aux fruits de ses victoires remportées avec tant de peine.
A. SULTAN ZADE.