Le trio au complet (1849)

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Cologne, le 3 mai.

Nous avons cent fois attiré l'attention sur le fait que le sire de Hohenzollern et son ministère « complètent le trio[1] » dans la coalition avec la Russie et l'Autriche. Cent fois, l'honnête citoyen allemand a repoussé ces révélations avec indignation.

Eh bien soit : il est certain maintenant que parmi les motifs secrets qui ont présidé à la dissolution de la Chambre, il y avait aussi celui-ci : aux termes d'un traité secret avec le kniaz[2] d'Olmutz et le Très haut pravoslavniï[3] tzar de Petersbourg, le sous-kniaz de Sans souci[4] s'est engagé à ENVOYER UN EFFECTIF DE QUARANTE MILLE PRUSSIENS EN BOHÊME pour maintenir le peuple sous le joug et apporter des renforts contre les Hongrois. On en a parlé ouvertement même à l'église Saint-Paul. À Berlin on n'a même pas pu imposer le silence sur ce point, même aux centristes et à une partie de la droite. On les a donc chassés.

Mais cela ne suffit pas : La Neue Zeitung berlinoise écrit de Berlin de 1° mai :

« Nous apprenons à l'instant de source très sûre :

HIER MATIN LA DIRECTION DES CHEMINS DE FER DE HAUTE-SILÉSIE A REÇU DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR UNE DÉPÊCHE TÉLÉGRAPHIQUE LUI ANNONÇANT QUE 30 000 HOMMES DE TROUPE RUSSES SERAIENT TRANSPORTÉS DE CRACOVIE EN AUTRICHE PAR LES CHEMINS DE FER DE HAUTE-SILÉSIE (DONC EN PROVENANCE DE CRACOVIE EN passant par Myslowitz[5] , Kosel[6] , Ratibor[7] , Oderberg[8] . La direction des chemins de fer de Haute Silésie est prévenue que LE GOUVERNEMENT ROYAL PRUSSIEN N'Y FAIT AUCUNE OBJECTION et attend de la direction des chemins de fer qu'elle n'entrave en rien ce transport. »

LA DÉPÊCHE ÉTAIT SIGNÉE : « VON MANTEUFFEL ».

Nous en sommes donc là : le gouvernement du sous-kniaz impérial russe de Potsdam ne se contente pas de lancer des lettres de cachet contre Kossuth, Bem et Görgey[9] , non, il va jusqu'à transporter par chemin de fer en Hongrie 30 000 sbires russes à travers le territoire prussien - bien plus, il envoie 40 000 soldats prussiens en Bohême pour maintenir ignoblement sous le joug un peuple piétiné et avide de vengeance !

Comprenez-le, Rhénans ! C'est pour cela qu'on nous a infligé la dictature russo-prussienne, pour que nos fils et nos frères, Rhénans comme nous, soient envoyés en Bohême, peut-être en Hongrie et qu'AU SERVICE DU TZAR RUSSE ils aident à opprimer le dernier peuple défendant, les armes à la main, la révolution de 1848.

C'est pour cela qu'en 1815 on nous a livrés traîtreusement à la Prusse, afin que retombe sur nous aussi l'opprobre d'avoir toléré que, passant par notre territoire et traversant un pays lié avec nous au même État, les Russes, musique en tête et bannières déployées, aient marché contre l'armée révolutionnaire magyare.

Ce n'est que par la violence que nous sommes devenus et que nous sommes restés sujets de la Prusse. Nous n'avons jamais été Prussiens. Mais maintenant qu'on nous entraîne dans une guerre contre la Hongrie, maintenant que le territoire prussien est foulé par des bandes de brigands russes, maintenant, nous nous sentons Prussiens, en effet, nous sentons QUELLE HONTE IL Y A À PORTER LE NOM DE PRUSSIEN !

  1. Cf. la ballade de SCHILLER : Die Bürgschaft (La Caution).
  2. Kniaz est le mot russe signifiant : prince.
  3. En russe également pravoslavniï signifie : orthodoxe.
  4. Le sous-kniaz de Sans souci : c'est ainsi qu'Engels désigne le roi de Prusse. Le kniaz d'Olmutz est l'empereur d'Autriche.
  5. Myslowice.
  6. Kozle.
  7. Raciborz.
  8. Bohumin.
  9. Cf. article intitulé : « Lettre de cachet contre Kossuth », n° 207 du 28 janvier 1849 et l'article intitulé : « Extradition de réfugiés politiques », n° 271 du 13 avril 1849, deuxième édition.